ISLANDER T.1 : L’EXIL
France – 2025
Genre : Anticipation, Aventures
Dessinateur : Corentin Rouge
Scénariste : Caryl Férey
Nombre de pages : 160 pages
Éditeur : Glénat
Date de sortie : 22 janvier 2025
LE PITCH
Le continent européen est victime de catastrophes multiples, des réfugiés de tous les pays s’amassent au port du Havre, lieu de transit vers un hypothétique salut. L’Islande est encore épargnée, mais pour combien de temps ? Liam, qui a déjà tout perdu, va tenter sa chance en subtilisant le pass d’une migrante, sans savoir que l’Islande aussi se déchire à leur sujet. Ballotté dans le chaos du monde, Liam découvrira qu’il a pris la place d’une femme impliquée dans un mystérieux projet, « Islander » ; sa rédemption, si Liam et ses nouveaux compagnons parviennent à survivre.
La ruée vers le nord
En 2021, Caryl Férey et Corentin Rouge immergeaient le lecteur dans la réalité d’une Afrique du Sud toujours écartelée entre deux communautés, maniant le polar comme un révélateur d’un réalisme social et historique tranchant. Quatre ans plus tard, le duo se reforme pour un triptyque d’anticipation qui s’intéresse à une crise en devenir : celle des réfugiés climatiques.
L’album illustre une Europe éreintée par la crise climatique et toutes les autres qui en ont découlé. Le vieux continent est exsangue, laissant échapper des flots de déplacés, d’émigrés s’efforçant de rejoindre, difficilement, les pays les mieux lotis, loin au nord. La double planche d’ouverture sobrement accompagnée d’un « Le Havre dans quelques années », frappe par l’économie de sa brutalité. Les camps de réfugiés, les braves gens qui s’entassent sur les plages ou dans les camps surveillés par des hommes armés ne viennent plus du Moyen Orient, d’Afrique ou des pays de l’est, mais des anciennes nations riches et fières de l’être. Rien n’est éternel, et bien entendu lorsque l’on devient soi-même l’émigré problématique, la donne change cruellement. Solide romancier de récits policier, Caryl Férey, inscrit avec fermeté et une redoutable efficacité toute la réalité de Islander, décrivant en quelques lignes, quelques détails, le monde tel qu’il est devenu, et les enjeux cruciaux qui agitent une Islande perçue comme un El Dorado, mais elle-même déchirée après une scission entre le nord et le sud, et une montée en puissance des mouvements xénophobes. Des thèmes qui résonnent constamment avec les actualités, évoquant de manière crédible les conséquences de nos actes, mais qui se font entrainer par une écriture racée, sans concession, et toujours en mouvements.
Vent frais
Islander n’est pas un récit-document, mais une aventure aux airs de survival empruntant un navire qui manque de sombrer dans les eaux glacées du nord, traversant des paysages froids et désolés, se perdant dans un camp de travail dirigé par un gang d’esclavagistes ou dans une capitale sillonnée par des forces de l’ordre quêtant les sans-papiers. Comme une fuite en avant, celle de Liam, anti-héros dont on ne sait rien et qui de décisions discutables en petits héroïsmes, donne, lui aussi, une touche très particulière à ce premier tome L’Exil, où certes pour l’instant le désespoir prévaut, mais où semble pointer quelques notes d’un espoir possible grâce à la présence d’un professeur, accompagné de deux jeunes femmes, tentant-lui aussi de revenir en Islande, pour faire aboutir un projet scientifique encore mystérieux. Intéressant, glaçant certainement, prenant indéniablement, Islander est aussi impeccablement réalisé par Corentin Rouge (Gunfighter, Kashmeer, Le Samaritain…).Un héritier d’une école de la BD franco-belge classique, quelque part entre la ligne claire et l’épure plus expressives d’un Jean Giraud, et qui sait justement marier admirablement le réalisme pointu de son trait (les décors sont aussi imposants que finement détaillés) et une nervosité plus contemporaine. Les paysages enneigés, la mer déchainée, les protagonistes aux regards perdus, épuisés… Tous sont constamment mis en valeur par un découpage impeccablement rythmé et haletant et une colorisation en adéquation parfaite.
150 pages grand format, profondes et excitantes, construites comme un grand récit d’action mais qui place toujours l’objectif là où il faut afin de poser les bonnes questions. Où va le monde ? Suivons Liam dans les deux prochains tomes pour le savoir.