INFIDEL
Infidel #1-5 – Etats-Unis – 2018
Genre : Horreur
Scénariste : Pornsak Pichetshote
Illustrateur : Aaron Campbell
Editeur : Urban Comics
Pages : 184 pages
Date de Sortie : 08 octobre 2021
LE PITCH
Lorsque Aisha, jeune musulmane, emménage dans un nouvel appartement, ses nuits sont perturbées par des cauchemars terrifiants. Elle découvre cependant que les démons qui peuplent ses rêves ne sont pas le produit de son imagination mais révèlent un mal plus grand, tapis derrière dans les murs de cet immeuble où un drame a eu lieu quelques mois plus tôt.
Sheitan
Longtemps éditeur dans l’ombre des grands titres Vertigo, Pornsak Pichetshote aura finalement décidé de passer à l’écriture lors de sa découverte du Get Out de Jordan Peele, le film démontrant comment il était possible aujourd’hui de mêler récit d’horreur avec les questions de la représentation communautaire et du racisme.
Le comics Infidel ne reprend bien entendu pas du tout le dispositif très particulier du film, mais s’engouffre dans la voie ouverte par celui-ci se permettant alors (comme une bonne poignée d’autres films, séries ou BD depuis) de s’écarter sans craintes de la bande habituelle de héros caucasiens, occidentaux, où les personnes de couleurs sont le plus souvent relégués au statut de bons potes, ou de sidekick sacrifiables. Dans Infidel, le personnage principal est Aisha, jeune femme nouvellement belle-maman aux côtés de son ami Tom, et qui tente de trouver un point d’entente avec la mère de celui-ci, pas toujours capable de taire ses préjugés. Car Aisha est d’origine pakistanaise, musulmane et, sans en faire un sacerdoce, pratiquante. Le malaise est immédiatement présent, au détour d’un dialogue, de quelques mots bien choisis et d’ailleurs bien souvent l’essentiel de la force d’Infidel en passera pas les échanges entre les différents personnages, qu’ils soient des riverains renfrognés et un poil paranoïaques, une marâtre possessive, des voisins sympathiques ou une amie d’enfance.
Sous le voile
Pornsak Pichetshote impressionne par son écriture, réussissant à capturer un naturel constant, mais aussi les petites notes particulières de chacun, le phrasé, les expressions, qui donnent volontairement aux habitants de cet inquiétant immeuble des airs de condensé de la société américaine, voire de tour de Babel moderne. Futur illustrateur du Hellblazer de Simon Spurier, Jason Aaron y appose sa marque granuleuse, poussiéreuse, creusant le réalisme de béton par une atmosphère étouffante et râpeuse où vont éclore des apparitions proprement terrifiantes. Des créatures difformes, des chairs contraintes, des bouches béantes qui affleurent dans quelques arrières plans du décor avant de jaillir sur les personnages vomissant des flots de propos haineux. Ici les poltergeist ne sont pas de simples fantômes faisant subir leur colère sur les vivants, mais bien des créatures nées de la xénophobie omniprésente qui désormais transpire dans les murs, contamine les habitants et se nourrit de leurs racisme primaire (pléonasme) souvent presque bien-pensant. Trois ans avant la série Them ou le remake de Candyman, Infidel donne déjà corps à l’un des pires maux de l’humanité, mais se refuse à l’exorciser, observant plutôt cruellement comme cette peur de l’inconnu s’insinue dans les relations avec les autres, nourri par la bêtise, l’actualité, la jalousie et l’incompréhension, entraînant la naissance d’un cercle vicieux, ici démoniaque, destructeur. Pas facile de faire vraiment peur en BD, mais Infidel est définitivement angoissant.