L’INCAL : KILL TÊTE-DE-CHIEN
France, Etats-Unis – 2021
Genre : Science-Fiction
Scénariste : Brandon Thomas
Illustrateur : Pete Woods
Editeur : Les Humanoïdes Associés
Pages : 112 pages
Date de Sortie : 17 novembre 2021
LE PITCH
Artiste, héros de guerre, amant de l’année… Kill Tête-de-Chien semble cumuler les succès. Mais victime d’une tentative d’assassinat, il sombre dans le coma. Profitant de son état, une partie des nombreux bâtards qu’il a semés à travers la galaxie pénètre dans son esprit fracturé pour explorer ses souvenirs via une procédure expérimentale appelée la « recollection ». Ils ne font pas cela pour sauver leur père, mais pour récupérer ce qui leur est dû, tous ayant été abandonnés par Kill dans leur enfance. Au cours de ce processus, ils découvriront l’histoire du vrai Kill Tête-de-chien, bien plus complexe que ce que ses légendes voudraient faire croire…
Doggystyle
Œuvre fondatrice et culte de la génération Métal Hurlant, L’Incal revient sur le devant de la scène et c’est une excellente nouvelle. Après l’annonce d’une possible adaptation cinéma par Taika Waititi (Thor Ragnarök, bof, Jojo Rabbit, mieux !), voici le premier spin-of officiel qui ne soit pas orchestré par l’immense Alejandro Jodorowsky.
L’Incal ne se résume plus depuis longtemps à la première quête de John Difool, complétée par la préquelle (Avant L’Incal), une conclusion (Final Incal), mais aussi à d’immenses sagas creusant de manière conséquente un univers particulièrement vaste et délirant avec La Caste des Méta-Barons, Les Technopères ou Megalex. Si les illustrateurs, talentueux, se passent le relais sans jamais faire déshonneur au travail révolutionnaire de Moebius, c’est bel et bien Alejandro Jodorowsky qui restait jusque-là le grand prophète. Pari tendu et franchement casse-gueule donc pour les deux américains Brandon Thomas (Noble, Excellence, Horizon) et Pete Woods (Robin, Legion Lost), qui sont les premiers à avoir le droit de s’engouffrer dans ce space opera rabelaisien en s’attachant au personnage secondaire Kill Tête-de-chien. Un mutant mi homme mi bête croisé dès les premières pages de L’Incal, au destin fortement lié à celui de John Difool, et qui malgré ses caractéristiques initiales de castagneur accro au sexe, devint au fur et à mesure des albums l’une des figures le plus reconnaissables de la série. Un pièce de choix, même si on est très loin de la classe iconique des Méta-barons, que l’on redécouvre désormais presque star mondiale, sauveur de la galaxie et surtout détenteur consécutif du prix du Meilleur Amant du monde.
La voie de son maitre
Un statut qui ne semble pas être de tout repos surtout lorsque ses enfants illégitimes sont de la partie s’efforçant d’explorer son esprit pour récupérer la fortune qu’ils estiment leur être dû. Le principe de la « recollection », pongée constante dans la psyché du personnage, est alors surtout l’occasion pour les auteurs de jouer avec les niveaux de réalité du récit, et même celle de la BD en elle-même. On fracture bien souvent le quatrième mur dans Kill Tête-de-chien, tout autant que l’on révise constamment des épisodes révélés, que l’on revisite des souvenirs cafouilleux ou que l’on déplace la temporalité sans toujours prévenir au moment le plus évident. Pas si surprenant de découvrir que Brandon Thomas affiche à son CV une bonne poignée d’épisodes de Deadpool. Une BD qui joue un peu trop au malin, sans vraiment retrouver les aspects furieusement baroques et la tonalité satirique mais toujours profondément humaine de L’Incal, et qui justement à vite tendance à se perdre dans ses effets de style à tiroirs. Le grand perdant dans l’histoire reste justement Kill, dont la grande révélation venant éclipser son égoïsme affiché, tombe un peu à plat avec sa sauce presque « hollywoodienne ». Doté d’un rythme effréné, traversé de quelques idées bien psychédéliques, Kill Tête-de-chien est alors étrangement marqué par une certaine standardisation où l’on peine à retrouver la vraie irrévérence et la liberté foutraquo-mystique du modèle. Même sensation du coté des superbes planches de Pete Woods, numériques et léchées, dynamiques avec un petit aspect animé plein de pep’s, bien trop propre et lumineux… Trop joli finalement, trop « américain ». Espérons que Taika Waititi ne suivent pas la même voie.