IMMORTAL SERGEANT
Immortal Sergeant #1-9 – Etats-Unis – 2023
Genre : Policier, Comédie
Dessinateur : J.M. Ken Niimura
Scénariste : Joe Kelly
Nombre de pages : 408 pages
Éditeur : Hi Comics
Date de sortie : 8 novembre 2023
LE PITCH
La veille d’une retraite importune, un détective de la vieille école se voit confier une affaire de meurtre qui le hante depuis des décennies. Malheureusement, Jim Sargent dit « Sarge » doit entraîner son fils Michael, adulte rongé par l’anxiété, dans l’aventure, sous peine de perdre à jamais la tête de l’affaire. Ce duo dysfonctionnel pourra-il surmonter ses propres blocages, ses aveuglements et ses non-dits pour la réussite de cette entreprise ?
L’inspecteur ne renonce jamais
Plus de dix ans après leur I Kill Giants, Joe Kelly et Ken Niimura se retrouvent pour une nouvelle maxi-série : Immortal Sergeant. Oubliés les géants et place à une vieille flicaille sur le chemin aveugle de la justice… mais une nouvelle fois, tout ça c’est surtout une affaire de famille.
Comme le disent les romanciers, tous les flics ont en tête une affaire qui les obsède et leurs tord les boyaux jusqu’à la fin. Pour Jim Sargent, alias Sarge, c’est celle d’une petite fille, presque bébé, abandonnée morte dans un parc pour enfant. Et voilà qu’alors qu’il rumine une nouvelle fois face à ce fils qui n’est que déceptions, que le frère du coupable présumé, passe dans son champ de vision. C’est partie pour une traversé rocambolesques des Etats-Unis à la poursuite d’un bus et d’une vendetta devenue obsessionnelle. Depuis sa longue et remarquable prestation sur Deadpool, on sait que Joe Kelly aime et cultive les héros borderline, dangereux, azimutés, mais tout aussi drôles et finalement presque sympathiques. Sarge fait clairement partie de ceux-là. Sorte de Harry Calahan qui aurait très mal vieilli (et une coiffure pourrie), il balance constamment dans la tronche de sa famille les pires anecdotes sur la réalité du terrain, des vannes sordides tour à tour homophobes et racistes (ou les deux) et écrase constamment de sa virilité auto-proclamé un fils qu’il n’aura fait que rejeter toute sa vie. Et aux milieux de cette longue course effrénée, de ces enchainements de dialogues vifs et punchy, de situations rocambolesques et de déclamations on ne peut plus malaisantes faites à haute voix, on se demande bien comment Michael et son père vont réussire à reprendre le dialogue. Cela va se faire, lentement mais surement, alors que père et fils ne sont jamais resté aussi longtemps l’un avec l’autre, et malgré les nombreux engueulades et jugements hâtifs, certaines apparences et préjugés finissent pas s’effacer.
Mon père et moi
Cette justesse dans l’écriture et en particulier dans le portrait du vieux poulet qui a tout vu, Joe Kelly la doit sans doute aux bribes autobiographiques qui sont à l’origine du comics. Cette guérison familiale, douloureuse mais tout de même, est aussi celle de l’auteur avec son propre paternel, qui lui aussi avait associé, par cruauté du destin, la naissance de son propre fils avec la mort de l’enfant d’un autre. Comme un fantôme qui hante une vie et maltraite un amour qui aurait dû être simple et naturel. C’est souvent assez fort autant dans ses aspects mélodramatiques, que dans la description d’un milieu policier au bord de la rupture, d’un pays aux communautés fracturés, mais aussi dans sa pure énergie de divertissement débridés, de comédie nerveuse. Une impulsion donnée en grande partie par l’illustrateur Ken Niimura qui cultive toujours ce style hybride entre le comics et le manga, et dont la simplicité du trait, cette épure de noir et blanc à peine tramé, tire constamment le découpage vers le storyboard numérique. Tout repose donc visuellement non pas sur la finesse des détails, le réalisme ou de quelconques prouesses stylistiques, mais bien constamment sur un mélange d’expressivité émotionnelle qui va à l’essentielle et un découpage pointu et constamment en quête d’efficacité. Les planches n’attirent pas forcément l’œil de prime abord, mais en revanche ne le lâche pas une fois la lecture commencée, l’amenant à découvrir des personnages qui méritent clairement que l’on aille au-delà des apparences.
Encore un petit bijou signé par Kelly et Niimura que Hi Comics propose directement dans une imposante intégrale de plus de 400 pages avec un excellent cahier créatif en fin de volume. Ce dernier permet à Joe Kelly de revenir sur la nature personnelle du projet et au dessinateur de faire profiter de ses recherches de design et d’essais de découpages, mais aussi de découvrir quelques scènes coupées (oui comme dans les films) et des plus classiques illustrations de couvertures.