IMMONDE !
France – 2022
Genre : Fantastique
Scénariste : Elizabeth Holleville
Illustrateur : Elizabeth Holleville
Éditeur : Glénat
Pages : 240 pages
Date de Sortie : 26 janvier 2022
LE PITCH
Morterre est une petite ville industrielle terne et isolée, habitée majoritairement par les employés de l’Agemma, une entreprise d’extraction de minerais radioactifs. Jonas et Camille, deux adolescents de 17 ans, vivent depuis toujours dans cet endroit qu’ils rêvent de quitter. En attendant, ils patientent en regardant des nanards horrifiques surannés. Absorbés par leur propre passivité, ils ne prêtent pas attention à l’étrange disparition d’un employé de l’Agemma. Dans le même temps, une nouvelle élève débarque de Paris. Elle s’appelle Nour et n’a pas l’intention de croupir dans l’ennui. Elle pousse Jonas et Camille à explorer la ville et ses alentours. Au cours d’une excursion nocturne, ils découvrent ensemble un homme au visage malade, défiguré par de terribles excroissances.
« Ce n’est pas sale ! »
Quelques temps après la chronique fantastique L’été fantôme, Elizabeth Holleville revient se frotter au fantastique avec un voyage bien plus angoissant du côté d’une petite bourgade des Vosges où la mine à ciel ouvert de l’Agemma pourrait bien réveiller un mal profond : celui de la Terre.
D’une certaine façon L’été fantôme était le récit de la fin de l’innocence, du passage d’une pré-adolescente à un nouveau regard plus adulte sur sa famille et le monde qui l’entoure. Immonde ! au titre déjà bien moins vaporeux, est lui le récit d’une prise de conscience pour trois adolescents, qui malheureusement connaissent déjà trop bien la réalité qui est la leur, mais décident de prendre les choses en mains, de devenir acteurs de leur propre vie. Trois personnages très sympathiques, jeunes gens encore assez mal dans leur peau (oui se sont les « originaux » de leur classe), pas forcément au clair dans leurs quêtes sentimentales, mais qui voient bien entre deux soirées cinéma bis et un joint allumé au clair de lune, que plus rien ne tourne rond. Quelques bribes de news sur les conséquences du réchauffement climatique entendues via le téléphone de Nour ne laisse que peu de mystère sur la cause du sentiment anxiogène qui surnage durant toute la lecture, ni sur la figure symbolique des mutations qui contaminent une partie de la population de Morterre (tout est dans le nom) et des créatures cauchemardesques découvertes dans le sol, déjà contaminées de la région.
Infiltrations
Toujours empreint d’une certaine naïveté graphique, d’imprécision formelle, les dessins d’Elizabeth Holleville ont encore et toujours cette sensibilité proche des bandes dessinées pour plus jeunes (on lui doit aussi les illustrations de Mytho !, Le Rhume ou L’évolution de l’homme), mais cette fausse immédiateté, simplicité même, contraste admirablement avec l’atmosphère délétère et inquiétante que l’artiste met en place avec naturel. Une sorte de cauchemar du quotidien hérité de ses modèles Charles Burns ou Daniel Clowes, où de la banalité nait la monstruosité, qu’elle noie dans des teintes violettes, roses, vertes, mais toujours acides et cernées par des aplats de noirs oppressants. Jamais bavarde ou trop démonstrative, la narration privilégie constamment l’image, permettant autant de crédibiliser les relations entre les protagonistes, que de creuser là encore un lourd climat construit par un découpage resserré, cinématographique. Marqué dans son adolescence par les nombreux programmes ciblés de M6 (les séries du samedi soir, les téléfilms adaptés de King…) et plus largement les classiques de Steven Spielberg ou de Carpenter, l’imaginaire d’Elizabeth Holleville ressemble alors parfois étrangement à celui de Super 8 ou à une série comme Strangers Things, mais avec ici pas l’ombre d’une nostalgie empruntée, de clins d’œil appuyés, plutôt la sensation d’une auteur en train de façonner son propre style, sa propre marque, entre conte horrifique grotesque, chronique adolescente pleine de sensibilité et inquiétude sincère. Une belle œuvre est en train de naitre.