HISTOIRE D’O SUIVI DE LA VENUS A LA FOURRURE
Histoire d’O / Venere in pelliccia – Italie – 1975 / 1984
Genre : Erotique
Dessinateur : Guido Crepax
Scénariste : Guido Crepax
Nombre de pages : 356 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 07 février 2024
LE PITCH
Dans Histoire d’O, une jeune femme libre et indépendante devient, de son plein gré, l’esclave sexuelle d’un homme tandis que dans La Vénus à la fourrure, Séverin von Kusiemski est l’esclave de son épouse Mme von Dunajew…
Maitresse
Quand le grand Guido Crepax, créateur de la délurée et libertaire Valentina, adapte le classique de la littérature érotique (pour ne pas dire pornographique), Histoire d’O, c’est comme une intense évidence. Le récit d’une lente et sulfureuse soumission que l’artiste transporte en célébration de la dévotion amoureuse et de l’orgasme… Quels que soient les moyens utilisés pour l’atteindre.
Aujourd’hui souvent consacré parmi les grands maîtres de la bande dessinée érotique en grande partie pour ses nombreuses adaptations de classiques du genre (Emmanuelle ou Justine de Sade suivront), Guido Crepax n’était cependant pas forcément particulièrement attiré par l’exercice. Histoire d’o est ainsi bel et bien une commande, une proposition extérieure, mais qu’il se prend encore à accepter avec plaisir (ce qui a priori ne sera plus tout à fait le cas pour la suite). Il faut dire que depuis sa première publication en 1954 (!!) le roman jouis d’une réputation aussi élogieuse que sulfureuse, accentuée par le mystère, qui n’en sera plus un, sur la signature même de l’auteur. Dominique Aury donc, son le pseudo de Pauline Reage qui signa le célèbre conte sadomasochiste pour étonner et satisfaire son amant Jean Paulhan, écrivain et futur académicien. Un cadeau en forme de fantasme ultime où tous les désirs possessifs et machistes du monsieur prenaient corps dans un récit d’initiation et de soumission total où la belle O (patronyme renvoyant autant à l’anonymat de cette dernière qu’à ses orifices), éprouve une à une toutes les étapes déployées par les habitués de Roissy, club S&M extrémiste ne se refusant aucun tabou.
Moi j’aime l’amour qui fait boum !
Constamment dégradée, à genou, mise sous silences, offertes à tous autant par le regard que par les gestes les plus brutaux, son parcours d’esclave heureuse ira jusqu’à accepter de se laisser marquer les fesses au fer rouge comme du bétail. Un voyage en forme de fable pour adulte, ou peu à peu l’héroïne redevient maitresse de son corps, de ses désirs et de sa véritable nature et que l’artiste italien sublime de sa ligne à l’encre de chine, noire, striée, creusée, presque gravée, faisant presque apparaitre une certaine pureté sur les planches. Un noir et blanc éclatant pour une BD qui pourtant déjoue tous les pièges du jugement et de l’amoralité en accompagnant amoureusement non pas la place des dominateurs / voyeurs, mais bien celui de cette amoureuse éperdue prête à ne plus s’appartenir par amour… puis par pure délectation. Déjà épisodique, la structure du récit se détends, se distord, se resserre, se démultiplie alors en fonction des expériences et surtout des plaisirs ressentis, Crepax démultipliant les techniques de découpages et les inserts en fonctions des sensations ressenties. Un album d’une sensualité dévastatrice qui perd un peu de son efficacité dans une seconde partie (beaucoup plus courte), plus proche du film de Just Jaeckin que du roman initial, et faisant d’O la grande orchestratrice dans un jeu de pouvoir dans les hautes strates industrielle. Si cette dernière à enfin la place qu’elle mérite, en souveraine sexuelle initiant à son tour les âmes innocentes à ses petits jeux, l’aspect policier passionne moins une fois encore la maitrise graphique de l’artiste.
Comme Delcourt avait déjà réédité l’intégrale d’Histoire d’O en 2010, il profite de cette ressortie plus volumineuse encore pour y adjoindre une passionnante introduction signée Christian Marmonnier, confrontant le texte au monde contemporain et à la vision féministe, une galerie d’illustrations supplémentaires et pour certaines assez rares, mais aussi l’adaptation plus tardive de La Vénus à la fourrure. Le roman de Leopold Von Sacher-Masoch, devenu à son tour une BD en 1984 et qui effectivement complète parfaitement Histoire d’O. Par l’inversion des rôles tout d’abord, car c’est bel et bien l’homme qui aime ici se faire dominer et punir par son épouse, mais aussi par la réflexion plus poussée sur la relation ambiguë qui lie la maitresse à son esclave (n’est-ce pas lui qui la pousse à faire ces jeux ?), non sans un accent freudien parfaitement assumé. Légèrement plus cérébral mais toujours aussi exaltant.