HILD : LES FEMMES DES NIBELUNGEN
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Hild : De vrouwen van de Nibelungen – Belgique – 2024
Genre : Historique, Drame, Aventure
Dessinateur : Veerle Hildebrandt
Scénariste : Veerle Hildebrandt
Nombre de pages : 152 pages
Éditeur : Anspach
Date de sortie : 14 février 2025
LE PITCH
C’est durant un âge d’or que naît à Burg Weltz, la capitale, la princesse Kriemhild, fille du roi Dankwart. Espiègle et intelligente, Kriemhild ne tarde pas à comprendre qu’elle est destinée à servir de monnaie d’échange pour forger des alliances avec d’autres puissantes monarchies. À la mort de son père, son frère Gunther monte sur le trône. Au grand dam d’Hagen, conseiller personnel de feu Dankwart, le faible et influençable Gunther s’entiche du prince Siegfried de Xanten, un aventurier aux exploits légendaires. Ce dernier a promis au nouveau roi de l’aider à conquérir la terrible Brunehilde, reine d’Islande.
La sororité de l’anneau
Epopée médiévale centrale de la culture celte et nordique, Les Nibelungen irrigue les plus grandes épopées, légendes et récits de Fantasy, des Opéra de Wagner jusqu’au chef d’œuvre muet de Fritz Lang. Un mythe, que l’autrice Veerle Hildebrandt, réinterprète brillamment en ne changeant que subtilement un détail : le point de vue.
Grand récit qui a traversé les temps et connu moults réécritures et variations, cette légende fut finalement fixée aux alentour de l’an 1200 sous la forme d’un important poème de 3379 strophes intitulé La Chanson des Nibelungen. L’histoire tragique et violente de la chute du Royaume Burgonde, qui a souvent été résumée à sa première partie célébrant le grand Siegfried, responsables de nombreux hauts-faits dont l’élimination d’un dragon, et dont l’immortalité ne sera finalement contrecarrée que par une abjecte trahison. Un héros, un vrai, beau, grand et fort, mais auquel Veerle Hildebrandt préfère nettement l’épouse, la princesse Kriemhild. Autrefois dans ombre, belle, diaphane et serviable, passant à l’hystérie sauvage dans son ultime tentative de vengeance, elle est approchée ici avec nettement plus de profondeur et de nuances. Présentée au départ comme une adolescente un peu fantasque, mais surtout déjà en quête d’indépendance et de liberté, elle témoigne rapidement d’une époque où les femmes n’avaient jamais leur mot à dire, simples objets-trophées, outils diplomatique et génitrices de roi, que l’on s’échange entre royaume.
Monde ennemi
Un destin d’autant plus cruel pour Kriemhild dont l’héritage sera spolié, et dont le mariage avec le grand conquérant lui laissera découvrir un homme égoïste et violent. Pas mieux pour Brunehilde, rien islandaise qui n’a guère d’appétence pour les hommes, qui se retrouve à son tour piégée dans le lit du nouveau roi des Burgondes, violée par un seigneur bien faible et lâche mais aidé par le fameux Siegfried. Deux destins dans les tourments de l’Histoire et d’une histoire, s’efforçant constamment de s’échapper de leur instrumentalisation, de briser les convenances de la société de leur époque et de faire la nique à un patriarcat écrasant et systémique. De grande tragédie épique Hild devient, en restant toujours extrêmement proche des lignes les plus connues, une grande tragédie féministe où même les éléments les plus fantastiques (l’anneau magique, le fameux trésor des nains, le dragon, les sirènes…) ajoutent dès lors autant à l’atmosphère de geste à l’ancienne qu’à la forme allégorique d’une bande dessinée en définitive extrêmement actuelle. Au-delà des décors et des costumes moins historiques que stylisés, son approche visuelle y est d’ailleurs en totale adéquation, travaillant des constructions, des jeux d’échelles et des tableaux renouant avec les tentures et les gravures médiévales, tout en y apportant une finesse et une légèreté brossée bien plus contemporaine. Il y est amusant d‘ailleurs d’y déceler comment la psychologie des personnages, de l’optimisme premier de la protagoniste à la veulerie de ses frères ou la fausse grandeur de Siegfried, sont autant signifiés par une écriture empreinte de justesse, que par de nombreux détails graphiques, un jeu de mise en scène, une dégradation des couleurs ou de l’expressivité.
Une très belle découverte que ce Hild Les Femmes des Nibelungen qui retrouve admirablement toute la puissance d’évocation de ce mythe incontournable et toujours passionnant, mais lui apporte aussi et surtout un nouveau regard, pertinent et moderne. Une histoire d’hommes devenue une histoire de femmes, et qui naturellement, y gagne certainement en finesses au passage.