HARD BARGAIN

Etats-Unis – 2024
Genre : Policier, Fantastique
Dessinateur : Leno Carvalho
Scénariste : Steven S. DeKnight
Nombre de pages : 192 pages
Éditeur : Les Humanoïdes Associés
Date de sortie : 5 mars 2025
LE PITCH
Frank Harding, détective privé spécialisé dans l’occulte, enquête sur des mystérieuses disparitions qui le mènent très vite au constat suivant : il connaît toutes les victimes et semblent être le prochain sur la liste…
Une affaire qui sent le souffre
Hard Bargain est un polar, un vrai, qui plonge dans les ruelles sombres et dangereuses du Los Angeles des années 40. Ses privés aux airs de salauds, ses tueurs à tous les coins de rues, ses flics ripoux, ses bars miteux et ses femmes fatales aux charmes mortels… et ses démons, sorciers et fantômes bien entendu.
S’il a tenté brièvement l’expérience comics avec Marvel pour quelques numéraux inauguraux des séries Wastelanders (dérivés du Old Man Logan) ou de participations à Conan Le Barbare, Steven S. DeKnight est surtout connu pour son travail de réalisateur, le tristement célèbre Pacific Rim 2, et de scénariste / producteur pour la télévision : Jupiter’s Legacy, Spartacus, Daredevil, Buffy et Angel. Impossible d’ailleurs de ne pas penser ici à l’univers de Joss Whedon et en particulier au fameux spin-off avec David Boreanaz qui lui aussi se déroulait dans les rues de Los Angeles, picorait dans les premières saisons du coté de Raymond Chandler et installait un croisement plutôt réussi entre les effluves du vieux roman noir et un fantastique débridé, illustré comme une normalité. Dans Hard Bargain, le lecteur n’aura pas plus d’explication quant à cet état de fait d’un monde ensorcelé omniprésent croisant quelques démons, sorciers immortels, personnifications de la mort en visite et esprits vengeurs. Ces arrière-cours là, c’est d’ailleurs la spécialité de Frank Harding, vieux privé qui en a déjà trop vu, marqué par la mort de sa dulcinée dans les bras d’un vilain de strip-comics, partageant son temps entre les missions d’intimidations, les photos compromettantes et les séances de remises en forme avec une étrange soigneuse qui ne quitte jamais son bureau. Un quotidien bien rodé qui va forcément être chamboulé lorsqu’une femme mystérieuse, accompagné d’une enfance carrément flippante et très douée en arts martiaux, s’en prend à son vieux copain d’enfance obligeant l’un à ses trancher lui-même les membres et l’autre à s’arracher la peau. Charmant !
La mort n’est pas une fin
C’est le début d’une enquête qui va forcément remonter dans la passée de notre brave détective, et faire remonter à la surface les péchés des pères et s’achever, comme il se doit, à Chinatown. Mariage réussi entre horreur à la Constantine et roman noir à l’ancienne, Hard Bargain réussit brillamment à installer son petit univers ésotérique à en exposer rapidement sa logique propre tout en développant une affaire à la fois musclée et intime. Steven S. DeKnight y trouve un bel équilibre entre ses multiples références et ses différentes strates de pulp culture, ses bastons spectaculaires et ses dialogues de séries B bad-ass. Il réussit aussi comme tout bon polar à ajouter un regard bien senti sur la réalité sociale du pays et en particulier un racisme anti-asiatique propre effectivement à cette Amérique post-crise et s’apprêtant à plonger dans la Seconde Guerre Mondiale. Un autre temps, l’auteur rapproche pourtant certains agissements de dérives bien trop actuelles. Avec tout cela, et malgré l’humour noir et roublard, l’album est donc forcément bien sombre et violent, et parfaitement calibré pour le trait lourd, épais, et réaliste du brésilien Leno Carvalho (Crusaders). Si on peut regretter parfois une colorisation numérique trop visible, les planches sont impérialement touffues, méchamment détaillées et terriblement dynamiques, et appuient constamment cette atmosphère épaisse et désespérée de trip hard boiled à souhait.
Une excellente surprise, stylée, musclée et inspirée qui mériterait largement de connaitre une suite. Une nouvelle affaire de Frank Harding pourrait aisément voir le jour au milieu de cet imposant background, ici à peine défloré.