GRENDEL VOL.1 : HUNTER ROSE
Grendel: Devil by the Deed ; Grendel: Black, White, & Red #1-4 ; Grendel: Red, White, & Black #1-4 ; Grendel: Behold the Devil – Etats-Unis – 1993/2008
Scénariste : Matt Wagner
Illustrateur : Matt Wagner, Divers.
Editeur : Urban Comics
Pages : 608 pages
Date de Sortie : 28 janvier 2022
LE PITCH
Romancier, mondain, escrimeur de génie et assassin. Telles sont les multiples facettes de Hunter Rose, un mystérieux écrivain qui a surgi sur la scène du tout New York sans crier gare tout en officiant dans l’ombre pour prendre le contrôle de la pègre sous le masque du mystérieux Grendel. Poursuivi par les forces de police et l’immortel loup-garou Argent, Hunter Rose ne se connaît qu’une faiblesse : son amour pour sa fille adoptive, Stacy. Une faiblesse qui pourrait bien lui être fatale.
Le diable par les deux bouts
Déjà assez compliqué à suivre par sa multitude de one shot, de mini-séries, d’anthologies et d’une chronologie globale s’étendant sur quelques milliers d’années, Grendel était pour le coup encore plus fragmentaire en France avec seulement quelques traductions chez Dark Horse France puis Semic. L’arrivée de quatre volumes intégraux chez Urban Culte est alors la promesse d’y voir peu plus clair dans la destinée de cet assassin hors du commun.
Aujourd’hui renommé pour quelques épisodes célèbres de Batman (Batman et les monstres, Batman et le moine fou) ou une excellente reprise de la série historique Sandman Mystery Theatre, Matt Wagner n’avait que 19 ans lorsqu’il publia le premier chapitre de Grendel. C’était chez un petit éditeur indépendant qui mettra la clef sous la porte quelques temps plus tard, et ce fut alors le début d’un chassé-croisé éditorial pas toujours des plus évidents pour les lecteurs. On retrouvera ainsi la série en back-up de Mage, l’autre création solo de l’auteur, puis grâce à un retour inespéré chez Dark Horse, avec une courte série on-going et quelques mini-séries, sans compter sur une bonne poignée de crossovers avec DC Comics par exemple. Une linéarité inexistante, d’autant plus obscure quand on y met les pieds pour la première fois, que Wagner lui-même a construit son univers façon puzzle, laissant apparaître les jalons et les pièces progressivement au cours des années. Heureusement Urban Comics entame ici la traduction des quatre omnibus américains qui ont pris le parti de réorganiser, plus ou moins, la chronologie des différents évènements de (des) la vie de Grendel. Un personnage obscur et ambigu, sorte de croisement entre Batman et le Punisher mais qui aurait plutôt décidé d’installer son règne dans le monde du crime. Traumatisé par le décès de l’amour de sa vie, Hunter Rose ce bretteur hors pair, choisit alors de noyer son chagrin dans la violence, devenant tout d’abord un assassin se vendant au plus offrant, avant de s’emparer de la tête des réseaux du crime organisé de la ville. Tout en se cachant sous l’identité bien plus respectable d’un auteur à succès, charmant et mondain. Il se fera finalement éliminer par son ennemi de toujours, le loup-garou Argent après un combat sanglant sur les toits de la cité. Deux personnages liés par l’amour immodéré qu’ils vouent à une petite fille que Hunter a recueillie.
Le diable dans les détails
Des évènements entièrement contenus dans le récit en prose illustré sous la forme de tableaux aux airs de vitraux Le Diable par les actes qui ouvre l’album. Comme une nouvelle littéraire (raconté qui plus est par la fille de la gamine justement) qui installe toute la mythologie première, place les principaux évènements, mais aussi une esthétique particulière faite de noirs et blancs tranchés rehaussés d’aplats en rouge vif. Si on sait grâce à quelques indices et aux introductions et commentaires placés en ouverture et fermeture, que la destinée de Grendel ne s’arrêtera pas là, se transmettant sous des formes parfois très changeantes aux générations suivantes (jusqu’à une version futuriste en mode anar), les près de 500 pages qui vont suivre ne vont finalement offrir que des variations plus ou moins détaillées de cette ligne directrice. Comme lorsque Matt Wagner, scénariste et illustrateur, conclue l’ensemble en revenant sur la prise de pouvoir de Grendel et la vision chamanique des futurs qui s’ouvrent devant lui, mais surtout lorsqu’il se lance dans Grendel : Black, White, & Red et Grendel : Red, White, & Black, deux séries anthologiques en quatre fascicules chacune, comportant de nombreuses courtes histoires grappillant de-ci de-là. On revient parfois sur le profond romantisme caché du personnage, on découvre les rares preuves d’humanité et d’indulgence de l’homme masqué, on illustre un nouvel affrontement sauvage avec Argent (jamais vraiment convaincant ce personnage d’ailleurs), sa rapide progression dans le monde du crime et surtout accumule les missions diverses et variées entraînant forcément l’apparition de quelques cadavres charcutés et amputés sur la route.
Malgré l’élégance de l’écriture de Wagner et les prestations remarquables de nombreux artistes prestigieux invités (Tim Sale, Duncan Fegredo, David Mack, Guy Davis, Chris Sprouse…) se dégage alors forcément une certaine répétitivité et une absence d’organisation dramatique, de montée en intensité, qui perd parfois un peu le lecteur. Toute la force des séries Grendel n’a pas encore été totalement approchée, mais cette curieuse saga reste plus impressionnante par la somme de ses pièces que par les pièces elles-mêmes.