Dans le coin, la weed ça a toujours été une histoire de famille. Une affaire particulièrement lucrative d’ailleurs, opérée sous le regard bienveillant du shérif local, qui a permis de faire revivre économiquement la région sans se pourrir les poumons dans les mines à charbon. Dans ce coin où autrefois la terre était sèche, elle devenue particulièrement fertile… Mais ce petit paradis a un prix et c’est ce que vont découvrir Marnie et Denny, suite à la mort mystérieuse de leur paternel, retrouvé à moitié dévoré à l’entrée d’une grotte. Elle a plus ou moins quitté la région, préférant mener son gang de bikeuses sur les mauvais coups, et lui s’apprêtait à reprendre à sa charge la petite boutique. Avec une atmosphère première à la Sons of Anarchy, ses petites tensions inter-familiales et ses règlements de compte entre deux beuveries à la bière, le Grendel Kentucky de Jeff McComsey (L’Héritier d’Hitler) se couple avec une énergie propre aux programmes bis, grindhouse, imaginant un marché dont le prix semble désormais trop cher à payer à la nouvelle génération. Fini les gentils sacrifices humains pour assurer la tranquillité de la maisonnée, ils vont désormais directement s’en prendre à la bête.

L’ogre sous la terre

Pas de grosses surprises dans les grandes lignes, mais une réelle efficacité, et une violence percutante qui accroche le lecteur de bout en bout. Illustrateur sur des titres comme The Question, 1985 ou Jupiter’s Legacy, Tommy Lee Edwards teinte au passage cette chasse au monstre d’un grain très marqué, d’un encrage lourd et de matières presque sales, comme si Sean Phillips laissait tomber ses dernières retenues héritées du polar noir. Un petit quelque chose de poisseux en somme, avec au passage un design assez réussi pour la fameuse créature (entre l’alien et une chauve-souris géante), qui serait sans doute moins marquant si le scénariste n’y avait habilement dissimulé une relecture moderne du mythe de Beowulf. Le grand héros de la mythologie celte prend ici les traits d’une jeune guerrière en cuir, aventurière du deux roues accompagnée de sa horde, qui va à son tour s’enfoncer dans les entrailles de la terre pour y affronter la bête, après que celle-ci ait massacré les proches de la bande en pleine teuf, et écrire sa propre légende. Le poème épique revisité à la sauce folk horror, il fallait oser, mais cela donne véritablement à cette lente plongée dans les ténèbres et son final barbare une ampleur étonnante.

Une jolie trouvaille que ce Grendel Kentucky, publié aux USA par le jeune éditeur AWA Studios, fondé en 2018 notamment par Axel Alonso et Bill Jemas, deux anciens pontes de chez Marvel, et nouvel acteur sur la place des éditeurs indépendants.