GOTHAM CITY : ANNÉE UN
Gotham City: Year One #1-6 – États-Unis – 2022/2023
Genre : Policier
Dessinateur : Phil Hester
Scénariste : Tom King
Nombre de pages : 208 pages
Éditeur : Urban Comics
Date de sortie : 13 octobre 2023
LE PITCH
Deux générations avant Batman, le détective privé Slam Bradley se retrouve mêlé au « kidnapping du siècle » lorsque l’enfant héritier des Wayne disparaît dans la nuit… Lancé à sa recherche, il découvre vite que les faux-semblants se multiplient, et que les justes ne sont peut-être pas ceux que l’on croit. Ainsi débute l’histoire brutale d’une Gotham devenue moderne, cité d’abord radieuse abritant en son sein le vice, la violence et la corruption, et prête à déverser le chaos sur ses habitants.
La nuit tombe sur la ville
Gotham n’a pas encore révélé tous ses secrets… Et Tom King (Batman Rebirth, Vision, The Sheriff of Babylon) entend bien plonger dans les méandres de ses rues pour en illustrer le point de chute. Le jour où tout, ou presque, a basculé. Du grand comic noir.
Le scénariste propose donc un nouveau flashback dans l’histoire de la célèbre ville de perdition afin d’eb révéler (à nouveau) des contours jusque-là inédits. Ceux des glorieuses années 50 où l’on nous dit qu’il faisait si bon vivre à Gotham. Une ère de progrès, d’espoirs, de regards vers l’avenir, dans laquelle la famille Wayne faisait presque office de famille royale, admirée, enviée, d’autant plus depuis la naissance de la fille de Richard et Constance, Helen, appelée « la petite princesse de Gotham » par les journalistes. Malheureusement le bébé est kidnappé et le privé Slam Bradley va se retrouver au cœur d’une enquête qui va peu à peu faire tomber les masques et le vernis brillant…
Personnage apparu dès le premier numéro de la revue Detective Comics en 1937 et recroisé dans les pages du Catwoman d’Ed Brubaker et Darwyn Cooke en 2001, Slam Bradley trimbale naturellement avec lui toute une tradition des romans noirs, de la culture pulp et d’une certaine vision stylisée du polar. En particulier cette figure de vieux briscard, imposant et cogneurs, mais finalement doté, lui, d’une morale inattaquable, qui tranche avec une haute société qui révèle rapidement sa corruption, ses mensonges et ses nombreuses malversations. Comme dans le Chinatown de Polanski, Gotham City Année Un ne décrit donc pas la chute d’une ville, mais bien le moment où le protagoniste, de plus en plus abimé par les coups et les révélations, réalise qu’elle a déjà sombré.
La ville est à eux
Habile auteur, Tom King manie l’exercice avec talent multipliant les fausses pistes, dédoublant la carte de la femme fatale, évoquant l’affaire du bébé Lindberg, teintant le tout de la dure réalité sociale l’époque (en particulier la question raciale) pour attirer le lecteur dans son piège. Une atmosphère que Phil Hester (The Darkness, Green Hornet, Green Harrow…) ravive admirablement en travaillant des lignes simples, stylisées et de grands aplats d’ombres noirs où les cadres rigides se brisent rapidement sous les explosions de violence. Pas de temps morts, un rythme soutenu, des personnages charismatiques, une enquête captivante, mais aussi une ré-imagination du mythe de la ville et de la famille Wayne. On peut s’y amuser à relever les nombreuses références ou clins d’œil à la mythologie du Batman (la batcave, le logo, une « catwoman », l’usine chimique, Crime Alley…), mais la mini-série est surtout passionnante lorsqu’elle recompose l’arbre généalogique non pas familial de Bruce Wayne, mais fictionnel. Le lien entre Slam Bradley et Batman s’y fait essentiellement par leurs univers communs, par les emprunts des récits batmanien aux œuvres hard boiled, par l’importance du travail de détective et cette image d’un dernier bastion éreinté face au chaos ambiant. Le célèbre défenseur de Gotham n’y apparait que dans quelques cases, interlocuteur passif d’un Sam Bradley en fin de vie, mais dont l’ombre plane au-dessus de chaque page, comme une conséquence inévitable de la tragédie qui se joue ici. Une proposition passionnante et prenante.