GHOST WORLD
Etats-Unis – 1997
Genre : Comédie Dramatique
Dessinateur : Daniel Clowes
Scenariste : Daniel Clowes
Nombre de pages : 80 pages
Distributeur : Delcourt
Date de sortie : 25 janvier 2023
LE PITCH
Ghost World dresse le portrait de deux adolescentes américaines dans les années 1990. Enid et Rebecca sont fusionnelles, cyniques, sensibles, intelligentes et désabusées. Leurs nombreux doutes à propos de leur avenir, du passage à l’âge adulte ou bien de leur orientation sexuelle tisse un récit naturaliste qui révolutionna la bande dessinée américaine indépendante.
Young and Beautiful
Après Comme un gant de velours pris dans la fonte, la « nouvelle » bibliothèque de Daniel Clowes se tourne dans la foulée vers l’emblématique, Ghost World. La chronique décalée et touchante d’une adolescence dans les années 90 où le passage à l’âge adulte raisonne comme une déchirure.
Œuvre centrale dans la bibliographie de Daniel Clowes, Ghost World a lui aussi vu le jour au sein de la revue anthologique et personnelle Eightball. Après le cauchemar lynchien de Comme un gant de velours pris dans la fonte et la farce hommage aux stripcomics Pussey !, il élague largement son univers habituel, se débarrasse des artifices purement comiques ou fantastiques, pour suivre non sans une certaine délicatesse les errances adolescentes d’Enid et Rebecca. Deux jeunes filles à l’aube de l’âge adulte qui traversent en long, en large et en travers le décor d’une ville anonyme, semi rurale, définitivement désincarnée, de l’Amérique moyenne. Sur certains murs on y voit tagué « Ghost World » comme une simple constatation mais aussi comme un écho à cet univers tout proche du monde adulte que les deux protagonistes se refusent à accepter. Les voici donc qui trainent d’une chambre à l’autre, d’un dîner à un marchand de disque, se moquent ouvertement des convictions politiques de leurs anciens camarades de classes, crachent sur les désirs de réussites de filles de leur âge, se passionnent pour les personnes étranges voir les freaks, et se questionnent sur leurs premières fois, la masturbation, les mecs…
L’âge de déraison
Les héroïnes anti-cool, les rebelles du quartier dont l’une n’hésite pas à se trimballer avec un masque SM façon Catwoman lorsqu’elle ne revit pas sa grande période punk. Et derrières les constations amères sur la vacuité de ce qui les entoure, les répliques assassines qu’elles échangent entre deux sorties pseudo-philosophiques se dessine le portrait d’un âge de l’incertitude, de l’ultime résistance à cette voie toute tracée qui ressemble tout autant à une voie de garage et de ses tentatives incertaines pour rattraper une innocence déjà enfuie. Cœur battant de Ghost World, Enid est la plus misanthrope, la plus rageuse, mais aussi la plus fragile celle que l’on retrouve en position fœtale dans son lit après avoir enfin retrouvé le 45 tour préféré de son enfance, celle qui passe son temps à rejeter son prochain de peur de se blesser et qui finira par briser cette amitié que l’on croyait indéfectible. Avec son habituelle ligne nette, ses contours pleins, ses visages figés qui semblent regarder au-delà de la page, Daniel Clowes n’est jamais loin d’un documentaire dessiné, décrivant à merveille et avec une légère tentation vers la caricature, un quotidien tellement ordinaire, universel, qu’il en devient curieux et hors du temps, à la fois cru et poétique. La simple coloration bleutée qui remplace le plus classique noir et blanc, résonne forcément avec le cinéma de son époque, si friand en filtres électriques, mais conforte aussi cette sensation constante de spleen et de flottement qui font de Ghost World une œuvre d’une simplicité presque majestueuse.