G.I.L.T., LA GUIDE DES TEMPORALISTES INDEPENDANTES
G.I.L.T. #1-5 – États-Unis – 2022
Genre : Science-Fiction, Comédie
Dessinateur : Mauricet
Scénariste : Alisa Kwitney
Nombre de pages : 112 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 28 juin 2023
LE PITCH
Hildy Winters est une survivante, une dure à cuire de l’Upper West Side de New York, une sacrée vieille bonne femme qui possède son propre portail lui permettant de voyager dans le temps. Hildy appartient à La Guilde des Temporalistes Indépendantes, des femmes capables de voyager dans le passé (sans le modifier !), tout en bénéficiant de leur expérience accumulée jusqu’à présent.
Ô vieillesse ennemie !
Nouvelle petite curiosité en provenance de l’éditeur indépendant Ahoy Comics (Second Coming, The Gimmick), GILT joue là encore la carte du second degré et du détournement du pitch de genre (ici le voyage dans le temps) avec aux commandes un mariage (artistique) très réussi entre une auteur américaine et un artiste belge. Dans la BD il n’y a pas de frontières.
Nos petits gars ont du talent ! Certes Mauricet est un artiste belge, mais il est surtout une signature bien connue de la BD franco-belge (notez le « franco ») qui sait aussi s’exporter du coté des comics sans se départir de son style épais, animé et toujours aux lisières de la caricature en rondeur. Il s’est bien entendu fait un nom du coté de la bonne BD traditionnelle avec des séries humours comme Mademoiselle Louise, Les Profs, Basket Dunk ou Cosmic Patrouille, mais aussi quelques titres plus sombres comme Mort de trouille ou Le Portail, sans compter effectivement sur quelques apparitions très intéressantes du cotés des USA avec Les Crossovers, Porchery et cette mini-série G.I.L.T. qui sonne comme une petite consécration. Par son succès outre-Atlantique tout d’abord, mais aussi par une collaboration étonnante avec la romancière Alisa Kwitney (essentiellement inédite en France) qui fut longtemps éditrice chez Vertigo, avant de devenir elle-même scénariste occasionnelle. Mauricet aime croiser les univers avec son trait au réalisme outré et son expressivité cartoon, Alisa Kwitney aime à marier la chronique sociale avec une succession de voyages dans le talent aux conséquences rapidement vertigineuses.
Pour un vieux monde meilleur
Pourtant ce n’était pour Hildy Winter que l’occasion de réécrire quelques erreurs de son passé (et en particulier un mariage avec un pseudo-gourou trop charmeur), mais dans son trip elle embarque sa nouvelle aide à domicile, qui elle aussi à quelques squelettes dans le placard… et des souvenirs intimement lié au sien. Deux femmes aux destins de vie volontairement chaotiques, à l’identité libre et à la gueule toujours bien ouverte, séparées par une ou deux décennies d’existences, mais réunies clairement par une identité on ne peut plus new-yorkaise, entre Sex in the City et la ritournelle verbale d’un Woody Allen. Entre deux découvertes de conséquences dévastatrices des paradoxes temporelles crées involontairement par le duo (dont un avion projeté dans le futur, un sosie de Lou Reed à son bord) GILT explore surtout la génération émancipée des années 70, leur identité, leurs errances, leurs erreurs et leurs transmissions aux suivantes, par le biais d’amitiés et de romances brisées et d’éducations de progénitures on ne peut plus personnelles. Une comédie de mœurs, une chronique douce-amère sur le temps qui passe et les inéluctables regrets qui le jalonnent, qui baigne presque tout autant dans un décorum plus fantastique que science-fiction, usant d’une mythologie incarnée dans les murs de la ville (et de certains de ses hôtels privées) pour extrapoler une mystique du voyage dans le temps. Ça part parfois un peu dans tous les sens, les scènes s’accumulent avec des personnages, secondaires dont on ne perçoit pas toujours la pertinence, mais Alisa Kwitney, à l’écriture décidément enjouée et maline, réussit systématiquement à retomber sur ses pattes avec une bonne dose d’ironie.
Bordélique mais exaltant, pas toujours abouti mais souvent très drôle, G.I.L.T. se déguste entre deux volutes de fumées et un cosmopolitain à la main.