FRAGMENTS D’HORREUR
魔の断片 – Japon – 2014
Genre : Horreur
Dessinateur : Junji Ito
Scénariste : Junji Ito
Nombre de pages : 242 pages
Éditeur : Mangetsu
Date de sortie : 05 juillet 2023
LE PITCH
Un homme volage prisonnier de son futon, une maison classée au patrimoine national dont l’antique charpente semble habitée par un esprit lascif, un cheveu de sorcière tranchant comme une guillotine ensanglantée ou encore une femme obsédée depuis l’enfance par les scalpels et les éviscérations…Junji Ito sème les graines du cauchemar dans ce recueil composé de huit contes délicieusement horrifiques dont six publiés pour la première fois en français.
Cris d’horreur
Spectaculairement célébré lors du dernier Festival d’Angoulême avec une superbe exposition et un Fauve d’honneur plus que mérité, Junji Ito l’est aussi par les éditions Mangetsu qui rattrapent peu à peu le retard éditorial entourant cet auteur en France. Dernier volume d’une collection luxe qui ne cesse de grandir, Fragments d’horreur contient huit nouveaux petits cauchemars aussi graphiques que perturbants.
Connu sous le nom de « Ma no Kakera » (soit « Fragments du diable ») au Japon ce volume est un peu particulier dans la bibliographie de son auteur puisqu’il marque son grand retour en 2014 aux récits horrifiques, genre qu’il avait quelque-peu délaissé au profit de récits comme Black Paradox, Le Journal des chats et Raspoutine le patriote. Cependant, marqué par les décès de son éditeur historique et de son chat (qu’il voit comme des signes), il finit bien entendu par se tourner à nouveau vers les contrées cauchemardesques qu’on lui connait. Excepté le superbe La Chuchoteuse (déjà présent à juste titre dans le second volume de Les Chef-d’œuvre de Junji Ito) datant de 2009, tous les récits présents ici furent ainsi publiés au cours de l’année 2013 dans la revue shojo Nemuki+ et sont marqué par un besoin pour l’artiste à la fois de se retrouver et de se renouveler. Graphiquement, en dehors d’un trait qui ne fait que de se raffermir d’années en années, il n’a aucune raison de dévier de sa précision redoutable et de son réalisme obsédant, mais les histoires proprement dites cependant s’approchent plus que jamais du mal être contemporain… dans des versions déviantes bien entendu. Certains récits étonnent aussi par leur contenance plus adulte et l’évocation sans détours de pulsions sexuelles perverses. A l’instar de Miss scalpel où une jeune femme, après avoir disséqué des animaux divers dans son enfance, ne rêve plus que d’être explorée vivante par le scalpel des chirurgiens. Pas mieux du coté de Manami qui dans La Charpente possédée pratique le coït bruyant et frénétique avec une demeure familiale et historique qui n’en demandait pas tant.
Hantises
Entre Body-horror pour l’un et Home Invasion à la symbolique outrée pour l’autre, Junji Ito pousse toujours ses situations jusqu’à l’extrême. Il oscille habillement de l’horreur presque traditionnel, implacable, comme dans L’Oiseau noir et son succube qui sauve les hommes en les nourrissants de leur propre chair, ou s’étirant vers le baroque le plus étrange comme dans Magami Nanakuse où une auteur excentrique fasciné par les tics nerveux pousse l’une de ces fans à se transformer en masque grotesque et figé (une pleine page mémorable) pour donner naissance à son nouveau roman. Fragments d’horreur est aussi marqué par l’apparition d’un nouveau héros récurrent, Tomio, quasi-inverse masculin de la plus célèbre Tomie. Elle qui n’est que séduction, prédation et autorité laisse place à un jeune homme pleutre, victimisé, écrasé par ses angoisses, qui ne cesse de ramper au pied de la pauvre Madoka sa compagne qu’il ne fait de tromper. Dans Le Futon, très court récit de 8 pages, il se cache sous sa couette pour échapper à quelques visions psychédéliques et paranoïaques tandis que dans Tomio et le col sanglant il est désormais la proie d’une sorcière collectionneuse de têtes… obligé de maintenir la science coûte que coûte de peur qu’elle ne tombe. Le mâle dans toute sa lâcheté et son incapacité à assumer ses pulsions qui naquit dans un film sobrement intitulé Tomio sorti en 2011 pour lequel il s’essaya, partiellement, à la réalisation. C’est d’ailleurs lui qui orne la couverture de cette très belle édition (couverture en dur, surjaquette, préface de Joan Lainé et cahier explicatif de Morolian) dans un hommage expressionniste et hallucinatoire au célèbre Cri de Munsh et son malaise figé à jamais.