ENTRETIEN AVEC CAZA, AUTEUR DU MONDE D’ARKADI T.7
Le Nouvel Or-phé
En 2004 après huit ans de patience et un chapitre prequelle, Nocturne, la série de bande dessinée Le Monde d’Arkadi revenait en librairie pour un septième tome des plus attendus. Un album presque central remettant à plat les enjeux de la série mais aussi inaugurant d’importants changements qu’évoquaient lui-même Philippe Caza en novembre 2004. Archives :
Vingt ans séparent le premier volume du Monde d’Arkadi et le septième, Le Château d’Antarc. Comment expliquez-vous ce (trop) long délai ?
Au départ, la série était publiée chez Les Humanoïdes Associés et les cinq premiers tomes sont sorti avec un rythme assez normal, environ un par an. Et puis au début des années 90, les Humano ont eu des problèmes internes qui ont largement réduits le rythme des parutions, ne pouvant plus alors payer les auteurs. Un peu face au mur, ils m’ont donc demandé de conclure la série avec le sixième album et une opération assez honnête proposant un coffrant regroupant les différents volumes. Mais bien entendu, j’avais toujours envie de continuer la série et j’ai alors trouvé Delcourt. Mais le temps qu’ils rachètent les droits, qu’ils les rééditent dans une nouvelle édition, du temps a passé. Surtout qu’entretemps j’ai travaillé sur le film Les Enfants de la pluie qui m’a occupé pendant cinq ans et à plein temps pendant deux. Et puis une fois le film terminé, il a tout de même fallu six mois pour m’en remettre. Il faut reconnaître aussi qu’après tout ce temps, il a fallu que je remette la machine en marche, que je me remette à penser en termes de « bande dessinée ». Le volume 7 fut un album assez complexe à faire. J’avais beaucoup d’informations à rattraper…
Le Château d’Antarc est véritablement un album pivot…
Tout à fait. Il répond à pas mal de mystère que j’avais posé, répond à certaines questions mais ouvre aussi sur beaucoup d’autre. J’ai pris aussi plus de temps parce que c’est la première fois que je colorise avec un ordinateur. Une technique qui fait gagner beaucoup de temps ensuite. Mais la première fois faut tout de même apprendre et faire quelques expériences. Maintenant c’est bon, j’en tire tout ce que je veux, mais ça n’a pas forcément été évident. Donc tout ça, c’est conjugué pour créer ce « retard », en revanche, maintenant que je suis dans lancé je ne vais pas m’arrêter. Je n’ai pas encore commencé le huitième tome, mais je m’y mets dès janvier.
Avec un tel nombre d’années, il n’est pas difficile parfois de retrouver le fil de l’histoire, le ton de la série ? Est-ce que le scénario avait déjà été conçu dans son intégralité dès 1982 ?
Le scénario a été conçu effectivement dès le départ. Mais conçu, pas écrit. J’ai dans les grandes lignes le contenu de chaque album, jusqu’au dernier c’est à dire le dixième. Cela étant, il y a la confrontation à la réalité, lorsque je me mets à l’écrire, à découper et à dessiner. J’ai une structure assez précise, mais qui laisse la place à l’improvisation et à l’apport de nouveaux éléments. Par exemple dans le tome 6, la baleine terrestre Noone n’était absolument pas prévue dans le scénario général. Du coup ça m’a fait un tome de plus et ça m’a fait revenir le personnage de Om-6 qui aurait dû disparaître. Mais tout cela permet surtout de développer le récit et ne m’écarte pas de la ligne directrice. De la même façon, pour le final de la série j’ai encore deux portes ouvertes, deux conclusions différentes possibles.
A cause, ou grâce, à ces péripéties, chaque album montre à chaque fois une évolution dans tes dessins. Avez-vous été tenté, comme c’est la mode actuellement, de reprendre les albums précédents et les retravailler à l’ordinateur pour homogénéiser la série ?
La tentation d’homogénéiser, elle existe toujours. Mais j’ai plutôt cherché à en améliorer quelques petits défauts ? Lorsque l’on a réédité la série chez Delcourt, j’ai remanié le premier tome. Mais pas tellement pour l’équilibrer aux autres, surtout pour le rendre plus ouvert, plus accessible. J’ai réparti les chapitres différemment, j’ai rajouté des pages, placé quelques informations supplémentaires pour que ce soit vraiment un premier volume qui introduise mieux le récit. C’est vrai que dans Nocturne qui est le premier « One Shot » des Chroniques de la terre fixe, je me suis permis d’aller dans une direction différente avec des couleurs plus riches, un dessin plus chargé, alors que pour le tome 6 je me suis un peu retenu. Pour le tome 7, je trouvais ça dommage de me limiter et de ne pas suivre l’évolution logique de mes dessins. Je suis donc allé vers un style plus aéré, plus épuré. J’espère que le public me pardonnera le décalage entre les albums (rires, ndlr).
En revenant sur ces années passées à faire de la bande dessinée au travers du Monde d’Arkadi, avez-vous eu envie parfois de lancer une nouvelle histoire. De partir dans une toute nouvelle direction ?
En fait non. Je suis un peu monomaniaque. Bien sûr, j’ai toujours sous le coude des idées de scénario – en fait surtout des récits d’un ou deux albums, pas plus – mais pour l’instant ce n’est pas vraiment allé plus loin. J’aurai plutôt envie de rester dans le monde d’Arkadi, mais de faire des histoires périphériques, un peu comme Nocturne. Quand j’aurais fini la série principale, je ferais sûrement quelque chose autour du père d’Arkadi (qui disparaît à la fin du second volume, ndlr) ou des dix ans que Pan-dra a passé à chercher Arkadi.
Quand on parle de « Caza », on dit toujours que vous êtes dessinateur de bande dessinée. Pourtant vous avez tout autant, sinon plus, travaillé sur de nombreux supports comme le cinéma d’animation, les illustrations, le jeux vidéo… Quel est le travail qui, d’après vous, vous correspond le plus ?
L’illustration a l’avantage d’être un travail relativement rapide – 2 trois jours – et de me servir de laboratoire. Une bande dessinée, je m’y investis énormément, tous simplement parce que je suis seul devant ma planche à dessin et que c’est mon propre scénario. Le dessin animé c’est très différent. C’est à long terme aussi, c’est un lourd travail, mais ça met en jeu beaucoup de personnes différentes. Le rapport humain entre énormément en considération. C’est passionnant, stressant, mais ce n’est pas tout à fait mon tempérament. Donc oui, c’est vraiment dans la bande dessinée que je me retrouve le plus. Par contre l’illustration reste un complément presque indispensable, parce que c’est à travers ce travail que je me nourris en lisant les bouquins, que je m’imprègne de ces univers. Les dessins animés du coup sont surtout de belles opportunités, des offres que l’on ne peut pas refuser.
Remerciement à Philippe Caza et à Emmanuelle Klein