EMMANUELLE ET AUTRES ÉGÉRIES

Emmanuelle, Emmanuelle l’antivergine, U, Bonnie & Clyde, Gradiva Italie – 1978, 1990, 1968, 1988
Genre : Érotique
Dessinateur : Guido Crepax
Scénariste : Guido Crepax
Nombre de pages : 272 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 26 février 2025
LE PITCH
Bangkok, époque contemporaine. Une jeune femme de 19 ans, que l’on vient de marier à un bourgeois expatrié, s’offre à ses amants et amantes dans la moiteur de l’Orient. Elle est sous la coupe de Mario, un bel Italien qui deviendra son « professeur de jouissance ». Son nom : Emmanuelle.
« Qui bat à cœur perdu »
Nouvelle grande intégrale consacrée à l’œuvre de Guido Crepax chez Delcourt, ce volume compile en essentiels ses deux adaptations des célèbres romans Emmanuelle, faisant directement suite au succès de celle d’Histoire d’O. Une nouvelle quête de(s) sens et une nouvelle égérie graphique prête à toutes les explorations.
Si déjà Crepax n’avait pas été particulièrement enthousiasmé au départ par l’opportunité de donner sa vision du célèbre roman S&M Histoire d’O, il rechigna plus encore lorsque l’éditeur d’Olympia Press vint lui proposer de creuser le sillon avec Emmanuelle. Le film de Just Jaekin, et en particulier son pharamineux succès, était encore dans toutes les mémoires, mais Crepax ne fut certainement pas séduit par le texte initial, le trouvant particulièrement médiocre. Mais assuré d’une carte blanche (et sans doute d’un contrat intéressant), il finit par se laisser aller à ces récits bourgeois d’une jeune libertine s’offrant à tous et à toutes au gré de ses envies et de ses fantasmes. L’auteur élague largement le texte du roman et évacue tout ce qui n’est finalement pas lié à la sexualité et à la séduction. D’où cette étrange sensation d’être transporté d’une rencontre à l’autre, d’une expérience à l’autre, d’une étreinte à l’autre, comme si seule la fièvre était le moteur de la protagoniste. Au passage, celle-ci ressemble bien plus sur le papier à la véritable Emmanuelle et la place du masculin est bien plus marginale que dans le long métrage gommant en bonne partie les affirmations presque féministes. Mais même si les érotomanes reconnaitront aisément les grandes lignes du livre et ses longues tirades reflétant les atermoiements sensuels et les réflexions pseudo-philosophiques de ce petits monde colonial résumant les uns et les autres à des corps et des potentiels orgasmiques, ce qui fait véritablement la force de cet Emmanuelle, se sont véritablement les expérimentations graphiques de l’artiste.
« Emmanuelle aime les intellectuels et les manuels »
Il y transforme le tout en rêve vaporeux, mélange de corps longilignes et graciles, succession de tableaux symboliques, presque de trinités religieuses, où la sexualité devient un art de vivre et l’acte lui-même laisse place à sa conceptualisation mentale. Un récit évanescent auquel répondra Crepax répondra 12 ans plus tard avec le second volume, Emmanuelle L’Anti-vierge, s’acquittant plus encore de structure et de logique narrative. Les textes mêmes semblent constamment s’échapper dans les bords de cases, les scènes se suivent dans une orgies de planches déconstruites, d’inserts sensuels, de stries et de lignes induisant un glissement du tout et du rien, et où seul finalement le corps, essentiellement nu, d’Emmanuelle semble résister aux assauts. Ils sont nombreux et sans doute moins doux et délicats que dans les premiers albums, mais jamais l’icône érotique ne succombe sous les tentatives d’asservissement et de domestication. De l’histoire en elle-même on ne retiendra sans doute pas grand-chose, mais comme toujours les planches fascinantes et intrigantes (ici les corps sont toujours moins beaux que leurs imbrications) transportent le lecteur vers un ailleurs où tout n’est plus que charnel et abandon.
Certainement l’une des plus grandes œuvres de Crepax, accompagnée donc pour ce volume « intégrale » de trois courts récits beaucoup moins connus mais néanmoins tout à fait intéressants, avec de façon amusante, une séparation de dix ans entre chacun d’eux. Bonnie & Clyde est comme son nom l’indique un résumé express et compressé de la trajectoire destructrice des deux braqueurs de banques où l’on observe un trait encore assez épais et lourdement encré faisant étonnamment penser au collègue Hugo Prat. U est un voyage délirant dans l’Italie des 70’s, violente, absurde et bestiale comme viennent le rappeler tous ces humains transformés en animaux sauvages. Enfin, Gradiva est une adaptation graphique de la nouvelle de Wilhem Jensen contant l’un de ses rêves récurrents. Un texte qui fascina les surréalistes et servi de support de travail à Sigmund Freud… et que l’on peut voir aussi ici comme une grille de lecture aux deux tomes d’Emmanuelle. La très belle édition en présence s’ouvre aussi sur un long texte introductif très intéressant de Romain Berthes et s’achève par un portfolio proposant quelques illustrations supplémentaires.