ELECTRIC MILES T.1 : WILBUR

France – 2025
Genre : Fantastique
Dessinateur : Brüno
Scénariste : Fabien Nury
Nombre de pages : 104 pages
Éditeur : Glénat
Date de sortie : 2 avril 2025
LE PITCH
Los Angeles, 1949. Parmi les rayons d’un magasin de comics, Morris Millman, agent littéraire, croise une de ses idoles : le prolifique et brillant Wilbur H. Arbogast, qui a jadis publié de nombreuses nouvelles dans le magazine pulp Outstanding. Mais Arbogast, fantomatique et secret, n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été. Morris rêve de remettre Wilbur sur le devant de la scène. Aurait-il un texte, n’importe quoi à vendre, à promouvoir ? Oui, peut-être… Mais ce livre promis est aussi toxique, il rend fou, il tue. C’est du moins ce qu’affirme l’auteur déchu…
La Dimension périlleuse
Après les polar noirs et teigneux de la série Tyler Cross, Fabien Nury et Brüno continuent leur exploration d’une certaine mythologie américaine mais en absorbant cette fois-ci toutes les ténèbres des pulps magazines et de la vieille littérature SF et Fantasy. Des écrits qui seraient à même de contaminer le réel ou n’est-ce qu’un fantasme mégalomaniaque de Wilbur H. Arbogast ?
Un passionné de publications SF peuplées d’aliens, d’univers parallèles et de concepts hallucinés devenu agent rencontre par hasard l’une de ses idoles, Wilbur H. Arbogast, signature mythique (pour les connaisseurs) mais qui a disparu du jour au lendemain, et s’imagine pouvoir remettre en avant ses créations et le motiver à rédiger un nouvel ouvrage… et pourquoi pas le faire adapter à Hollywood. Belle promesse, mais le Wilbur qu’il a fantasmé n’est pas forcément celui qu’il a rencontré, et ce curieux misanthrope, accablé par la page blanche et la dépression commence à lui raconter des évènements curieux et des visions délirantes qui auraient remis en cause sa perception du réel… Des connaissances qu’il pourrait coucher dans un livre capable de bouleverser le monde et sauver l’humanité. Premier pas de ce brave Morris Millman dans l’univers intérieur d’un écrivain dont Fabien Nury (Je Suis légion, Il était une fois en France…) se garde bien de clarifier la frontière entre mystique visionnaire, folie paranoïaque ou volonté tout à fait consciente de prendre l’ascendant psychologique de l’autre. La narration elle-même ne prend jamais partie sur ce qui est raconté, et plonge même volontiers dans une structure vertigineuse où les différents niveaux de réalité et de perceptions s’imbriquent de plus en plus intimement.
Final Blackout
Tout est subjectif ici, et le compère Brüno (Nemo, Lorna…) n’hésite pas de la même façon à transformer d’anodins dialogues ou souvenirs en véritable portes vers un voyage psychédélique vers la grande vérité, quittant l’atmosphère lourde du roman noir pour l’expérimentation hallucinogène ou les tableaux abracadabrants peuplée d’humanoïdes à têtes d’insectes et autres joyeusetés. Les planches sont contaminées, voir totalement sous le contrôle de Wilbur, qui de la même façon entame dans l’histoire sa reconquête d’une réalité qui lui échappe avec en ligne de mire la création de sa propre religion. On retrouve ici, dans ce lien organique existant entre le créateur et ses créations, quelque chose du reclus H.P. Lovecraft (lui aussi ses écrits n’étaient connus que sous la forme de petites nouvelles pour magazines spécialisés), tout autant que la remise en question des fondements de la réalité façon Phillip K. Dick. Mais la principale référence est certainement plus encore Ron Hubbard. Un auteur franchement médiocre qui abandonna sa carrière foirée de romancier pour donner naissance à sa propre secte croisant dans un grand n’importe quoi des bribes de christianisme, d’UFOlogie, de science du bien-être, pour aboutir à la fameuse scientologie. On n’en est vraiment pas loin ici, et Electric Miles confère à son futur gourou une même puissance de manipulation de l’autre, mais aussi un authentique pouvoir sur l’œuvre dont il est le sujet.
Une expérience méta, pesante mais définitivement intrigante qui ouvre de sacrées perspectives pour une suite déjà très attendue.