ED GEIN : AUTOPSIE D’UN TUEUR EN SÉRIE
Did You Hear What Eddie Gein Done? – Etats-Unis – 2021
Genre : Thriller
Scénariste : Harold Schechter
Illustrateur : Eric Powell
Éditeur : Delcourt
Pages : 288 pages
Date de Sortie : 13 avril 2022
LE PITCH
Ce récit révèle la véritable histoire d’un malade mental sous l’emprise d’une mère bigote et abusive. Cette biographie factuelle d’Ed Gein se focalise sur son enfance et sa vie de famille malheureuses, et sur la façon dont elles ont façonné sa psyché. Il explore aussi le choc collectif qui entoura l’affaire et la prise de conscience que les tueurs peuvent être des citoyens ordinaires.
La naissance du mal
Le créateur de The Goon nous revient avec un nouveau projet… Toujours plongé dans l’Amérique profonde, mais pas celle de la culture pulp, celle de l’histoire moderne du pays et de la naissance de l’un de ses plus grands monstres : Ed Gein.
Un projet qu’Eric Powell n’a pas mené seul, s’associant avec le journaliste / romancier Harold Schechter justement spécialisé dans les portraits de serial killer et la restitution de sordides faits divers. Et celui de Plainfield a véritablement traumatisé le pays, transformant une charmante petite ville tranquille en véritable théâtre de l’horreur dont les détails les plus scabreux ont fini par inspirer toute la culture populaire moderne de Psychose à Massacre à la tronçonneuse en passant par la saga d’Hannibal (entre autres). Publié d’emblée sous la forme d’une imposante Graphic Novel, Did You Hear What Eddie Gein Done ? n’est cependant pas à proprement dit un récit d’horreur, mais plutôt le résultat d’une longue et solide enquête ayant recoupé documents d’époques, interviews, analyses et témoignages pour s’efforcer de s’approcher au plus près du fameux bonhomme. Le volume se construit ainsi chroniquement en débutant comme il se doit sur la jeunesse du pauvre Ed Gein, second garçon d’une famille totalement écrasée par une mère fondamentaliste chrétienne, castratrice, humiliante, ne faisant qu’isoler peu à peu la famille, puis le dernier garçon survivant, d’un monde qu’elle juge obscène et fourvoyé…. En particulier les femmes, toutes tentatrices et dévergondées. Un pauvre bonhomme donc, qui accumule les épisodes traumatiques (a-t-il vraiment été violé ?), que l’on peut encore suspecter de la mort de son frère, et qui voue un amour aveugle et destructeur à une matriarche déifiée.
Ce brave Eddie
Portrait touchant, triste sur la naissance d’un être inquiétant, pulsionnel, vouant une fois môman décédé, une attirance malade envers les dames âgées, profanant la nuit les tombes du cimetière voisin pour voler les corps (et leur faire dieux sait quoi), tout en restant charmant, discret et serviables auprès de tous. Nécrophile, artisan chevronné en restes humains, assassin avéré de deux pauvres dames et se baladant avec les peaux tannées de ses victimes comme Leatherface ou Buffalo Bil dans Le Silence des agneaux, Ed Gein est un sujet de choix pour un album où Eric Powell se montre plus mesuré que d’habitude, cultivant un réalisme plus prononcé et s’efforçant constamment de rester au plus près des portraits connus des personnages croisés dans le récit. Tout en lavis de gris, ses planches sont cependant admirablement composées, profitant de son trait lourd et charnel, autant pour jouer légèrement sur la caricature d’une situation grotesque que pour souligner l’horreur profonde de certaines visions de charnier et le contraste qui existe avec le visage bêta et bonhomme de leur forfaiteur. Un aspect profondément humain qui se perd un peu malheureusement dans la seconde partie de l’ouvrage lorsque l’écriture se concentre autour de l’enquête à postériori de deux journalistes (pour les coups imaginaires mais en synthétisant plusieurs authentiques) qui tentent désespérément de comprendre les causes d’un tel dérèglement. A l’image d’un Ed Gein de moins en moins loquace et conciliant, le découpage se fige en gaufrier réguliers et le dessin laisse place à de long dialogues et de nombreuses réflexions certes pertinentes mais un peu lourdement amenées. Un BD un peu inégale, mais un dossier creusé et passionnant richement illustré par Eric Powell.