Devenu depuis quelques années un véritable spécialiste des aventures indiennes en bande-dessinée, capturant comme personne leurs grandes terres d’autrefois, la puissance de leurs forets primaires, la faune qui les entoure et la tragédie de leur destin, Pascal Prugne (Iroquois, Pocahontas…) n’en finit plus de nous envouter par ses sublimes aquarelles constituées par des tableaux sublimes, sauvages mais apaisés, des instants volés à une époque révolue. Avec Écoute s’il pleut il retraverse l’atlantique pour poser ses pinceaux du côté de la Normandie des années 60, dans un petit village isolé où le jeune Daniel passe son été avec sa grand-mère. L’ennui pointe son nez, mais la campagne est vaste et à force de balades, Daniel rencontre un camarade. Un peu étrange certes, mais avec qui il partage quelques bons moments et surtout découvre quelques coins secrets de la forêt, dont ce fameux moulin, le « écoute s’il pleut » où il habite avec sa mère. Sauf qu’un jour Paul ne revient plus et Daniel apprend que plus personne n’habite le moulin depuis la fin de la guerre.

Sous les décombres

D’une chronique bucolique et nostalgique sur les charmes de l’enfance, l’album devient alors une enquête au travers des secrets d’un village, d’une tragédie trop vite oubliée et des conséquences tragiques de la Seconde Guerre Mondiale. Avec beaucoup de délicatesse Rodolphe nous fait remonter le temps, superpose les époques et n’use au final de l’argument fantastique uniquement comme un révélateur, petites touches finalement bien discrètes par rapport au destin plus réel des personnages. Entre les lignes il y est bien entendu les questions de la filiation, de la transmission, de la mémoire et de la culpabilité, mais Écoute s’il pleut (on ne révèlera pas l’origine de ce nom, préservée jusqu’aux derniers pages dans l’album) est surtout particulièrement éloquent lorsqu’il capture cette petite France perdue désormais dans le temps entre les années 40, les années 60 et les années 80 (où se situe l’épilogue) puisque tout passe et s’efface. Des notions aussi bien thématiques que visuelles qui correspondent parfaitement à la patine toujours atmosphérique de Patrick Pugne délivre des paysages naturels toujours aussi magnifique, subtile entre matins brumeux, après-midi étouffantes et soirée pluvieuse, mais on est peut-être plus fasciné encore ici par son incarnation du fameux moulin, présenté comme un ilot idéal au cœur des bois puis comme une ruine emprunte de souffrances et de regrets.

On pourrait presque regretter que le récit ne se départisse jamais de sa mesure et de son calme, et que l’histoire en elle-même reste constamment sur sa réserve là où la seconde partie, avec le Daniel devenu adulte et père à son tour, aurait pu emporter la trame légèrement plus loin et dans une émotion plus forte encore, mais la force d’évocation des planches fait déjà beaucoup il est vrai.