DRACULA & L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR VIT TOUJOURS
Universal Monsters : Dracula #1-4, Universal Monsters: The Creature from the Black Lagoon Lives! #1-4 – Etats-Unis – 2023
Genre : Epouvante
Dessinateur : Martin Simmonds, Matthew Roberts
Scénariste : James Tynion IV, Ram V, Dan Watters
Nombre de pages : 128 et 120 pages
Éditeur : Urban Comics
Date de sortie : 18 octobre 2024
LE PITCH
Un nouveau patient vient d’arriver au sein de l’asile du Dr John Seward. Répondant au nom de Renfield, celui-ci raconte d’étranges histoires à propos d’un démon qui se serait installé non loin de là. Tandis que Seward essaie de comprendre et d’appliquer une logique à ces récits sans cohérence, sa fille succombe à l’influence d’un homme étrange… un certain Dracula.
Kate Marsden, une journaliste d’investigation tourmentée par son passé, est à la recherche d’un tueur en série qui se cacherait au coeur de la forêt Amazonienne. Mais en suivant la trace de ce dément, elle croise par accident la route d’une autre menace potentielle, une entité devenu un mythe dans la région : l’Étrange Créature du Lac Noir.
Ceux qui reviennent de loin
Les légendes du cinéma d’épouvante sont immortelles. Elles reviennent même sous la forme d’une série de nouveaux comics imaginés par les équipes de Skybound, société d’édition de Robert Kirkman. Une collection Universal Monsters dont les deux premières créatures échappées sont l’incontournable Dracula et le tragique Gill-man, mythique monstre amphibie du Lac Noir.
Cela fait un petit moment maintenant qu’Universal et Skybound (branche d’Image Comics) travaillent de concert sur divers projets d’adaptations de comics à succès sur grand écran. Mais la collaboration a aussi abouti dans l’autre sens à la production de Renfield, long métrage avec Nicholas Hoult et Nicolas Cage, où l’on retrouve justement Robert Kirkman au scénario. Pas forcément sa meilleure performance soit, mais en tout cas la première pierre d’un partenariat pour donner un nouveau souffle aux légendaires Universal Monsters, ces monstres gothiques, à l’ancienne, élégamment attachés au cinéma en noir et blanc, et qui terrifièrent les spectateurs durant les années 30/40. Voici donc l’autre versant de cette nouvelle tentative de réactualiser cet univers iconique (on efface de notre mémoire le tragique incident de La Momie avec Tom Cruise), une gamme de mini-séries comics confiées à des équipes créatives différentes, aux styles très tranchés, qui vont réinterpréter progressivement tous ces visages grimaçants et inquiétants. Pour cela, il y a différentes façons de procéder.
Celui qui ne voit jamais de vin
James Tynion IV (Something is Killing the Children, The Department of Truth…) opte ainsi pour un vrai remake du Dracula de Todd Browning, suivant plus ou moins les évènements archiconnus tels qu’ils y sont décrits, reprenant les portraits des différents personnages, l’atmosphère générale, mais en y apportant un regard effectivement plus moderne et plus psychologique que théâtral. Comme dans le film de Coppola, Mina et Lisa ne font ainsi que peu de mystères quand aux raisons de leur attirances pour cet étranges Comte venu des pays de l’Est, l’opposition entre le pragmatisme du XIXe siècle et les croyances d’autrefois (personnifiées par Van Helsing) est nettement plus présente, mais le point de pivot se fait plus nettement autour du personnage de Renfield. Un simple passeur dans le vieux film, il est ici celui qui apporte véritablement la folie de son maitre, semble contaminer le récit de son délire, mais aussi préserver une trace d’humanité salvatrice. Intéressant, même si le scénario par lui même ne recèle pas beaucoup de surprises, l’album est surtout superbement mis en image par Martin Simmonds (Jessica Jones, The Department of Truth, Punks not Dead…) qui livre des peintures particulièrement évocatrices, renouant avec l’impressionnisme, avec la fièvre gothique, et faisant véritablement de Dracula (dont le visage semble reprendre tour à tour celui de tous ses interprètes sur grand écran) une menace insaisissable, une silhouette terrifiante, car aussi rare qu’imposante.
Celui qui aime la nage synchronisée
A la relecture, le duo formé par Ram V (Toutes les morts de Laila Starr, Le Dernier festin de Rubin…) et Dan Watters (House of Whispers, Lucider…) préfère celui de la suite inattendue, de la transposition dans un contexte contemporain. Le sublime L’Étrange créature du Lac Noir avait déjà connu deux suites au cinéma (dont la première, très réussie, était également signée Jack Arnold), mais celle de la BD se déroule plus de cinquante ans après, dans une Amazonie ravagée par les flammes, occupée par quelques cartels et paramilitaires barbares et un même un bon vieux serial killer américain. Celui-ci est traqué par Kate, détective et ancienne victime miraculée de « l’étrangleur », qui ne croit naturellement pas vraiment à toutes ces légendes locales d’une créature oubliée étripant parfois les âmes égarées. Un récit d’aventure, aux encablures de la série B et du thriller où les scénaristes cultivent admirablement ce reflet constamment trouble et poreux entre la figure du monstre graphique, visible, et la part de sauvagerie et de bestialité qui peut habiter les hommes. Toujours aussi touchant, grave et poétique, le Gill-man n’est bien entendu pas la véritable menace de l’histoire, mais certainement le témoin impuissant des aberrations et de la violence qui l’entoure. Une figure solitaire, personnification d’un esprit primal, d’un ordre naturel, décidément incompris. Très efficace dans son découpage, reprenant joliment quelques motifs inoubliables du film original, le dessinateur Matthew Roberts (Manifest Destiny) joue lui aussi plus volontiers la carte du récit d’action plus corsé et bien moins atmosphérique que Martin Simmonds sur Dracula.
Deux approches différentes pour deux créatures portant chacune leurs propres univers et leur propre mythologie, Dracula et L’étrange créature du Lac Noir vit toujours font preuve d’un grand et beau respect envers leurs modèles Universal Monsters, distillant modernité et regard peut-être plus creusés qu’autrefois.