Lolita Couturier a donc 23 ans à peine et est toujours étudiante en Master de Bande Dessinée à Angoulême. Et elle signe déjà son premier album en tant qu’auteur complet chez Les Humanoïdes associés. Une découverte d’autant plus intrigante, que la dessinatrice impose immédiatement un style bien à elle. Des illustrations presque naïves, énergiques comme rapidement brossées, des environnements qu’elle résume à quelques lignes et à des formes allant à l’essentiel… Un style que certain auraient sans doute vu plus adapté pour une chronique sentimentale, une comédie doucereuse ou un fantastique enfantin. Pourtant ces planches toujours pleines de couleurs, de vivacités et même d’un esprit souvent bucolique, vient dépeindre un autre monde post-apocalyptique. La civilisation s’est effondrée, une part de la nature semble avoir repris ses droits et les humains restant semblent se calfeutrer derrières les murs d’anciennes citées ou succomber à un étrange mal qui les défigure et les ramène à des comportements primitifs et animal. Pas franchement réjouissant, mais c’est ce monde là que doit traverser Tom, jeune femme enceinte jusqu’au yeux, qui vient d’être chassée de Delta pour des raisons que l’on ne pourra que deviner.

Sur la route

Seule au monde mais pas pour longtemps, elle rencontrera plus loin un gaillard solitaire, grand gamin perdu trouvant enfin un but à son existence, mais déjà elle est affublée d’une petite fille qui la suit partout comme son ombre. Malgré les nombreux dangers qu’elle va devoir affronter, les mystères qu’elle parcourt, la solitude, la mort et l’abandon qui plane constamment sur sa quête de survie, Détour par Epsilon refuse toujours de sombrer dans le désespoir. On peut y voir là le reflet d’une génération résignée face à un futur de plus en plus incertain mais connu et assumé (cf l’introduction de l’éditrice). On peut aussi y voir un constant message d’espoir, un besoin d’avancer quoi qu’il en coûte car hé, malgré tout, la vie trouve son chemin. Si certains petits épisodes raisonnent comme des passages obligés du genre, l’autrice manie habilement les rapports humains en travaillant le plus souvent les regards, les gestes et les silences. Une narration qui se veut contemplative, épurée, économe et où justement au milieu de laquelle peut naitre de petits miracles comme cette relation symbiotique et on ne peut plus touchante entre Tom et Lélé, ou cette connexion inattendue avec le survivaliste un peu simplet Vlad, qui va finalement pousser l’héroïne à reprendre le dessus.

Un parcours plus qu’un voyage, Détour par Epsilon est un album encourageant, autant pour son autrice, que pour les lecteurs qui y découvrent la première étape d’un diptyque qui reste effectivement très discret sur sa nature en couverture. La suite est en effet attendue pour le printemps 2024.