DÉRIVES
France – 2022
Genre : Drame
Scénariste et illustrateur : Alexis Bacci
Éditeur : Glénat
Pages : 232 pages
Date de Sortie : 02 mars 2022
LE PITCH
Tokyo, 2001. Takeshi Noda, un journaliste en pleine crise existentielle, doit fuir la mégalopole et se fait engager pour effectuer un reportage à Wagu, dans la Baie d’Ago, campagne reculée du Japon. Il va à la rencontre d’une communauté de amas, ces pêcheuses qui plongent avec un matériel rudimentaire au cours de longues descentes en apnée.
Malgré un âge avancé, ces femmes n’utilisent aucune assistance pour leurs besognes. Et leurs exploits ne préservent pas leur quotidien de bien des dangers : que ce soit jadis des jougs yakuzas, ou désormais d’un monde rendant obsolète leur mode de vie millénaire.
Le poids de l’eau
On lui connaissait des contours beaucoup plus pulps et débridés avec Bikini Wars, Captain Death ou sa participation à l’univers de The Last Man, mais Alexis Bacci revient avec un récit plus introspectif et étrange, quelques jours seulement passés aux cotés des amas, dépeints comme une porte vers un autre monde.
Popularisées en France grâce au très joli documentaire Mama-san de Claudia Varejo, les amas ont un fort pouvoir d’évocation : des femmes plongeant presque nues dans les profondeurs marines et sans équipement moderne, pour récolter coquillages, crustacés et autres mollusques. Les femmes de la mer comme ils les appellent là-bas, bravant les dangers, les températures, la modernité, toujours les seins nus, provoquant alors un mélange de fierté féminine et d’érotisme particulièrement troublant. Avec une ligne toujours aussi volumineuse mais bien moins légère, Alexis Bacci les illustre d’ailleurs avec beaucoup de chair, de réalité, qu’elles soient rondelettes et vieillissantes, ou dans leurs primes jeunesses. Ces demoiselles, se moquant des hommes et des années sont ainsi les hôtes d’un journaliste et de son assistant, venu sur place pour signer un petit article sur cette pratique unique, et que certains jugent désuète, mais bien plus proche de la réalité de la mer, de son équilibre et de sa nature.
La chasse aux sirènes
Bien entendu, le dialogue avec ces femmes va donner accès à quelques récits qui semblent tout d’abord fantasque (un trésor nazi échoué dans les profondeurs) puis qui au cours des épisodes se dotent d’une autre logique, plus étrange, plus poétique, plus païenne. Retour dans leurs belles années donc, vers un long été où elles firent leurs plus belles prises mais ou une terrible compétition naquit entre elles, provoquant jalousies, moqueries, jusqu’à de terribles drames et les disparitions de deux d’entre elles : l’une dont on retrouvera le corps abimé, l’autre irrésolue. Disparues en pleine mère par suite d’un malaise, enfuie de la ville ou repartie rejoindre un amant inconnu ? Sans compter sur cette image récurrente d’une pieuvres géantes guettant au fond de sa caverne. Dérives s’éloigne ainsi de la bande dessinée documentaire des premières pages, pour explorer un paysage, une culture et un groupe de femmes, marqué par un secret plus ancien et un mystère dont on ne sait jamais vraiment s’il s’agit de fantasmes, d’un fait divers devenu rumeur ou d’une entrée de plein pied dans les mythes japonais. Reprenant à son compte les formes et certaines compositions de l’estampe, l’auteur se laisse ainsi emporté par ses propres désirs, s’approchant dangereusement de certains codes de l’érotisme imagé japonais, voir du hentai, mais avec une agréable douceur onirique et une profonde fascination pour ces femmes hors normes, littéralement amoureuses de l’océan. Un joli roman graphique qui capture avec beaucoup de sincérité ce microcosme lointain.