DÉLIVRANCE

France – 2024
Genre : Science-Fiction
Dessinateur : Kim Gérard
Scénariste : Kim Gérard
Nombre de pages : 328 pages
Éditeur : Glénat
Date de sortie : 13 mars 2024
LE PITCH
Dans un monde post-apocalyptique où tout n’est que désespoir et désolation, deux frères ont entrepris de traverser les terres meurtries pour mettre fin à leurs tourments. Car dans ce monde où la souffrance est omniprésente, les hommes, bien que condamnés ne peuvent mourir. Ils errent jusqu’à sombrer dans la folie et perdre leur humanité. Ceux-là deviennent des « oubliés », des créatures terrifiantes… Ikar et Graham n’ont pas encore atteint ce stade critique. Ils savent qu’au-delà du désert, il existe une oasis où l’herbe pousse encore et que là-bas la mort est douce et accessible.
Chacun sa route
Illustrateur publicitaire à l’approche épurée voir rétro, Kim Roselier signant ici Kim Gérard va clairement marquer les esprits avec son tout premier album : Délivrance. Et pas uniquement parce que le pavé de plus de 300 pages est enrobé dans une éclatante couverture christique et rose fluo.
Pour un début, c’est effectivement un début assez impressionnant et l’éditeur Glénat en est bien conscient en offrant à l’artiste un unique volume à forte pagination et un superbe travail éditorial allant de la qualité du papier à ce revêtement incroyablement doux de la couverture et ses effets de surbrillance. C’est bête, mais ça compte. Et surtout cela affirme d’emblée une certaine identité puisque le visuel utilisé joue admirablement sur un mélange étonnant entre la violence d’un visage marqué et ensanglanté, et la couronne de fleurs multicolores comme une robe Desigual. Une explosion de teinte et de vie que le lecteur va devoir attendre durant une bonne partie du récit. Se déroulant dans un monde détruit, mort et asséché (pas de précision s’il s’agit là de notre futur ou non), Délivrance ploie constamment sous cette atmosphère cruellement désespérée où la fin ne viendrait pas dans une explosion de furie comme un Mad Max, mais dans une lente et inexorable chute silencieuse. Alors que toute formes de vies végétales ou animales semblent avoir définitivement disparues, les humains survivants ont été atteint par une étrange épidémie les empêchant de mourir. Mais pas de souffrir.
Dites-le avec des fleurs
Une inexistence intolérable, accompagnée d’un oubli progressif où les seules solutions sont l’abandon ou un soulagement par la violence. Pourtant deux frères, Ikar et Graham, et Maé, l’épouse du second mais déjà au bord de la rupture, avancent malgré tout au travers de ces paysages affligés, échappant aux oubliés (humains revenus à l’état de bêtes) à certaines tribus de survivants imposants leurs lois et leur brutalité, à la recherche d’un hypothétique oasis. Un récit de survie relativement classique dans les grandes lignes, où bien entendu va apparaitre un espoir inespéré avec la rencontre d’une enfant aux pouvoir de renaissance (la nature réapparait de manière plus ou moins contrôlée autour d’elle) mais dont la force repose autant sur ses accents épiques voir bibliques, que sur la consistance et la fragilité de ses personnages. Délivrance est autant le voyage d’une espèce, que d’êtres qui doivent réapprendre à composer avec leurs souvenirs les plus douloureux, leur culpabilité, leurs lâchetés, leurs colères, afin de réussir à se réapproprier leur destin et leur identité. Sous le rythme trépident de l’aventure et la création particulièrement convaincante d’un univers unique, Kim Gérard imprègne ses pages de notions métaphasiques et poétiques sur le devenir de l’homme, son rapport à la nature, l’importance de l’espoir, mais aussi des notes beaucoup plus intimes sur le deuil, la résilience et la reconstruction du soi.
Profond sans jamais être pesant, métaphorique sans jamais étouffer sous la symbolique, Délivrance s’impose comme une création déjà complète, maturée et où la forme graphique, à la confluence d’une certaines lignes simples avec aplats de couleurs et d’une rudesse, d’une violence, tour à tour sourde et explosive. Une très belle découverte et un auteur qu’il va clairement falloir suivre de très près.