DE BRUIT DE FUREUR T.1 : SHAKESPEARE
France – 2024
Genre : Fantastique
Dessinateur : Éric Liberge
Scénariste : Philippe Pelaez
Nombre de pages : 72 pages
Éditeur : Glénat
Date de sortie : 4 septembre 2024
LE PITCH
Londres, 1605. Alors que la peste fait des ravages, le roi James confie une mission de la plus haute importance à William Shakespeare : retrouver Michael Morrisaw. Cet ancien acteur serait un espion qui menace la monarchie. Ce nom n’est pas étranger au dramaturge : alors que Morrisaw officiait dans sa troupe, il a disparu en lui volant le manuscrit de Macbeth ! Shakespeare entame une sombre enquête qui commence dans les bas-fonds de Londres, là où l’air est vicié de crime. I
To read or not to read
Quel meilleur sujet que le plus grand des dramaturges ? Risqué oui, mais la force immortelle de ses textes, l’aura intacte de son nom et les nombreux mystères qui entourent son œuvre et ses créations ont tout pour donner lieux à un flamboyant album. Ou à une quête identitaire cauchemardesque dans un Londres crépusculaire.
Toujours très ambitieux, Philippe Pelaez (Maudit sois-tu, L’enfer pour aube, Noir horizon…) ne va bien entendu pas se contenter de rejouer simplement la petite exploration biographique scolaire. Surtout que les véritables informations sur la jeunesse et la vie de William Shakespeare sont plus que parcellaires. A tel point, comme cela est parfaitement raconté dans l’Appendix de l’album, que ces nombreuses zones d’ombres, ces années de disparition et plus largement l’absence réelle de portrait peint fiable et de manuscrits identifiés, ont fait naitre de nombreuses légendes au cours des années. Entre récits fantasques et études universitaires qui se contredisent souvent, Shakespeare a forcément quelque chose d’intriguant et d’insaisissable, et on le sait la paternité même de ses écrits ont régulièrement été débattus. S’emparant de toute cela, mais aussi de références à Faust, au contexte politique et social de l’époque et même à quelques thriller fantastico-psychologique beaucoup plus récents comme L’Échelle de Jacob ou Angel Heart, l’album en présence emporte le tragédien dans une quête existentielle sur les traces d’un certain Michael Morrisaw, agents secrets de la couronne, assassin à ses heures, voleur du manuscrit de MacBeth et certainement double de ce dernier.
“Nous sommes de l’étoffe dont les songes sont faits.”
Les masques s’échangent, les identités se troublent constamment alors que le protagoniste s’efforce de retrouver l’inspiration tout en préparant un coup d’état contre le roi en compagnie de Guy Fawkes (vous savez, celui de V pour Vendetta). Touffu, alambiqué et construit comme un puzzle, De bruit de fureur délaisse rapidement la rationalité pour s’emparer d’une structure onirique où les évènements ne s’enchainent pas toujours dans l’ordre ou de manière logique, se calquant directement sur les délires de ce Shakespeare qui a tout de même tendance à laisser des cadavres d’anciens amants ou ennemis derrière lui. On ne cachera pas que les fans du film d’Alan Parker verront arriver la révélation finale de loin et que parfois la surabondance de couches ne facilite pas la lecture, pourtant on se fait aisément emporter par ce délire onirique et paranoïaque questionnant inlassablement l’essence même de William Shakespeare et les affres de la création, la puissance de la fiction sur le réel. Le travail visuel d’Éric Liberge (Voyageur, Le Suaire…) repose évidemment sur cette dichotomie en apportant un réalisme très fouillé au personnage, à leurs costumes, délivrant des décors historiques éloquents et palpables, mais dissémine des effets de gravure de vieux ouvrages ou des techniques plus modernes (rares apparitions de la couleur), pour distiller cette sensation constante d’onirisme inquiétant et de baroque théâtral.
Une certaine flamboyance qui rend parfaitement hommage aux pièces du maitre et qui lui offre un portrait multiple et schizophrène particulièrement intéressant.