COSMOPIRATES T.1 : CAPTIF DE L’OUBLI
France – 2024
Genre : Space Opera
Dessinateur : Pete Woods
Scénariste : Alejandro Jodorowsky
Nombre de pages : 72 pages
Éditeur : Les Humanoïdes Associés
Date de sortie : 6 novembre 2024
LE PITCH
Dans un univers où règnent la violence et l’argent, les sept Magnobankiers contrôlent toute la galaxie, exterminant parfois jusqu’à des populations entières afin de conserver leurs privilèges. Lorsque le célèbre assassin Xar-Cero découvre sa responsabilité dans l’une des plus meurtrières opérations menées au nom de ces tyrans, le conseil des Sept décide d’effacer sa mémoire pour annihiler le moindre désir de vengeance.
Bédé qui rêve
Après avoir laissé d’autres auteurs s’amuser avec ses jouets de l’univers L’Incal, le grand patron revient aux affaires avec Cosmopirates. Un retour au space opera déjanté et affranchi de toutes limites qui affirme qu’à 95 ans le gourou Jodorowsky n’a pas dit son dernier mot !
Si on en croit ses propres paroles, il y aurait même retrouvé une seconde jeunesse, renouant avec l’esprit adolescent, frondeur et expérimental de l’époque de Métal Hurlant et de sa collaboration avec Moebius. Le destin fait ainsi plutôt bien les choses pour les 50 ans de l’éditeur Les Humanoïdes Associés, puisque le lecteur à véritablement parfois l’impression de retrouver ce scénariste encore un brut, foutraque et volontairement naïf (aaah ses histoires d’amour), mais foncièrement inventif, qui a totalement changé le visage de la BD dans les années 80. Bien entendu, même si ce n’est jamais déclaré officiellement, l’utilisation d’un vocabulaire bourré de néologisme plus ou moins connus, quelques détails technologiques et une ambiance générale associe fortement ce nouveau diptyque aux autres titres estampillé L’Incal ou Meta-baron, mais Cosmopirates doit se dérouler à un autre bout de la galaxie, loin très loin, là où ce ne sont plus les Technopères qui régissent l’ordre établi mais les Magnobankiers, magnats d’un immense consortium financier qui achète, vend et s’approprie tout ce qui bouge. Comme toujours l’auteur ne cache pas son mépris envers le libéralisme et le matérialisme jouant de métaphores massives pour appuyer son propos, maniant son univers de science-fiction pour mieux souligner la faculté constante de l’humain à asservir son prochain, le plus souvent soit par lâcheté soit par appât du gain.
Feux d’artifices
Classique certes, mais le propos s’intègre à merveille dans ce divertissement presque rétro (on pense à toute la littérature pulp des 60’s), dans les pérégrinations chaotiques de Xar-Cero, super-gladiateur et mercenaire sans foi ni loi qui va oser se rebeller après avoir dévasté l’intégralité d’une planète. Pour cela il verra sa mémoire effacée et par un choix des plus curieux remisé en médecin appliqué dans un coin paumé du cosmos. Ce n’est que le début de la quête d’identité de ce grand héros archétypal, entre John Difool et Alef Thau, Spartacus de l’espace qui va devenir Corsaire sur le chemin de la vengeance et de la libération, moteur d’un récit haletant, sans temps mort, voir carrément frénétique dans un enchainement de batailles déviatrices, de rebondissements abusés et de rencontres improbables (dont une tortue dorée en mal d’aventure) qui peut décoiffer autant que perdre quelques lecteurs en route. Sacré défi pour le dessinateur américains Pete Woods (Robin, Legion Lost…) qui même s’il avait déjà œuvré sur les tomes 7 et 8 de Méta-Baron avec Jerry Frissen, a dû régulièrement s’accrocher au bastingage pour ne pas passer par-dessus bord. Son coup de crayon très comic, voir super-héros sur certaines planches, appuie parfaitement la dynamique générale, mais l’artiste montre aussi une nouvelle fois une excellente précision dans les différents designs futuristes, les décors exotiques et l’incarnation des personnages humains, et parfois aliens ou robotiques. Là aussi la démonstration est des plus généreuses et spectaculaires.
Retour en force pour Alejandro Jodorowsky avec Cosmopirates, gros blockbuster chaotique et baroque dont le monsieur à le secret. Ça part certainement un peu dans tous les sens, mais la vitalité qui s’en dégage a de quoi faire la nique à quelques générations de créateurs de BD. Un vrai jeune homme ce Jodo.