CONGO BLANC
Congo 40, Fleurs d’ébène, Congo Blanc – Belgique – 1987, 2007
Genre : Policier, Drame
Dessinateur : Eric Warnauts et Raives
Scénariste : Eric Warnauts
Nombre de pages : 192 pages
Éditeur : Daniel Maghen Editions
Date de sortie : 07 février 2024
LE PITCH
Province d’Équateur, 1942. L’arrivée de Laurence, la petite-fille du planteur, a définitivement troublé la vie de la communauté belge du territoire de Mungi. La présence de la jeune fille ravive le souvenir d’événements tragiques qui secouèrent autrefois la petite colonie, et qui, inexplicablement, semblent la concerner.
Le Congo Belge, à la veille de l’indépendance. Dans un contexte de tensions et d’agitations politiques et sociales, Jean, fonctionnaire de police, l’esprit encore chahuté par le départ soudain de son épouse et de ses deux filles, s’efforce de faire la lumière sur le décès suspect d’un Noir – “un nègre”, comme on le dit couramment dans la petite communauté des colons blancs.
Le bon vieux temps…
Certes très attaché à une certaine école de la grande bande dessiné franco-belge, les Editions Daniel Maghen plébiscitaient surtout jusque-là les récits inédits. Petite parenthèse donc, mais pas anodine, que cette réédition de deux des albums les plus célèbres du duo Warnauts & Raives, autrefois publiés chez Casterman : Congo 40 et Fleurs d’ébène, accompagnés en prime d’une nouvelle de quelques pages et d’une superbe galerie d’illustration.
Un duo d’auteurs et artistes se partageant écriture, dessins et colorisations, quasiment inséparables depuis leurs débuts à la fin des années 80 au sein de la mythique revue (à suivre). Un rêve pour tout deux surtout que cette première série, publiée en album deux ans plus tard, a immédiatement connue un joli succès, entrant rapidement dans la grande gamme des classiques de la BD moderne. Cette dernière c’est bien entendu Congo 40, une évocation inédite pour l’époque du fameux Congo belge, loin très loin des péripéties de Tintin, où l’on scrutait enfin la triste réalité de cette colonie si souvent idéalisée. En 1940, le pays est encore totalement sous le joug des occidentaux, bien heureux d’ailleurs de venir s’y planquer alors que la Seconde Guerre Mondiale fait rage, et subit constamment leur condescendance paternaliste, leur politique iconique dévastatrice et un pseudo esclavagisme auquel il ne manque que le nom. Dans le cadre refermé d’une petite communauté tranquillement installée dans ses privilèges le simple retour d’une jeune femme sur le domaine de son grand père va peu à peu raviver quelques souvenirs honteux et faire affleurer le véritable visage d’un microcosme sordide, bien entendu raciste, mais aussi misogyne et relativement pervers. Un thriller moite et trouble capturant à merveille la réalité de l’époque, l’ambiguïté constante de ces bons blancs (en particulier envers les femmes noires) et évoquant avec une certaine finesse les abus et mauvais comportements de seigneurs qui ne feront qu’attiser une révolution qui aura lieu bien des années plus tard dans la violence et le sang. Comme un récit de fin d’un monde, un drame aux airs d’enquête dont le protagoniste principal, l’ancien gigolo Vincent devenu alcoolique et à ses heures détective ne semble jamais totalement comprendre la portée, ni même la profonde vérité.
Terres indomptées
Publié 20 ans plus tard et accolé ici, Fleurs d’ébène semble avoir été conçu pour lui répondre et le prolonger. Il s’agit cette fois-ci d’une véritable trame policière, mais dans un Congo clairement au bord de la rupture en 1960 (là aussi 20 ans plus tard) et dont la découverte d’un corps, un militant indépendantiste noir, risque de mettre le feu aux poudres. Alors que la mainmise sur le pays par la Belgique devient de plus en plus compliquée jour après jour, le vieux monde s’accroche comme il peut à ses certitudes et tente d’extraire les dernières richesses d’un pays exsangue. Si l’affaire en elle-même est cousue de fil blanc, avec ses semi-révélations politiques et ses échos d’un complot relativement lamentable, c’est surtout le témoignage d’une époque, d’un temps et d’un lieu, qui séduit à la lecture. Une certaine nonchalance assénée par la chaleur des quartiers et des paysages, l’étrange relation que tisse, même les belges les mieux attentionnés voir « amoureux de l’Afrique », avec les vrais africains : Warnauts et Raives font revivre encore une fois une page peu glorieuse de leur pays, mais avec toujours une passion palpable pour le vrai Congo, son peuple, ses couleurs… et ses femmes. D’ailleurs glissé en fin d’album le Congo Blanc de quelques pages tirés de l’ancien recueil Équatoriales, décrit à nouveau une histoire d’amour entre un blanc et une femme noire, ce dernier hésitant entre retourner au pays avec sa femme et ses enfants ou rester sur cette terre suaves, envoutantes et charnelles comme sa maitresse.
D’une histoire à l’autre, on note aussi clairement une grande amélioration graphique assez logique avec un trait plus assuré, plus constant et une colorisation aquarelle beaucoup plus fine et fouillée, avec une approche réaliste, aux contours de carnets de voyages, dont les rives africaines et les femmes, sublimes, sortent toujours victorieuses.