COMME UN GANT DE VELOURS PRIS DANS LA FONTE
Like a Velvet Glove Cast in Iron – Etats-Unis – 1993
Genre : Fantastique
Dessinateur : Daniel Clowes
Scénariste : Daniel Clowes
Nombre de pages : 144 pages
Éditeur : Delcourt
Date de sortie : 25 janvier 2023
LE PITCH
Suite au visionnage d’un snuff movie où il croit reconnaître son amour disparu, Clay part à la recherche des producteurs du film qui pourraient le renseigner sur le sort de la jeune femme. Seulement, ce dernier n’avait pas anticipé les rencontres hallucinatoires, les embûches sordides ni même la fascination qu’exerce un certain Mister Jones.
Snuff comic
Delcourt se penche à nouveau sur l’œuvre de Daniel Clowes et relance une collection unifiée de ses titres avec comme premier volume, et de manière on ne peut plus logique, sa première série d’envergure Comme un gant de velours pris dans la fonte, voyage ubuesque dans une Amérique hantée par ses mythes et ses légendes urbaines. Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Après une première tentative de publication de la série en 6 fascicules des Lloyd Llewellyn, parodie de films noirs aux graphismes encore un peu incertain, Daniel Clowes trouve véritablement sa marque avec Eightball, anthologie curieuse toujours éditée par Fantagraphics et mêlant de très courtes histoires, des strips et durant les 10 premiers numéros une série à suivre, Like a Velvet Glove Cast in Iron, qui sera dans la foulée sa première création regroupée en version reliée. Pure produit des comics undergrounds, c’est-à-dire conçu en toute liberté et indépendance et avec une optique clairement tournée vers un lectorat grand public, la série ressemblerait même parfois un curieux cadavre exquis où l’auteur avancerait dans son récit sans savoir où il finira par se rendre, suivant finalement tout autant les cheminements hasardeux de son protagoniste que sa propre imagination. Clay est un jeune homme tout ce qu’il y a de plus ordinaire qui croit reconnaitre dans un film expérimental de seconde partie de programme une femme qu’il a connu et décide de partir à sa recherche. Une quête qui se révèle bien plus intime qu’héroïque alors que le personnage s’enfonce de plus en plus dans un monde étrange fourmillant de sectes, de cultes obscurs, de secrets enfouis cachés dans des fréquences mystiques ou derrière les sourires d’une mascotte d’apparence naïve.
Le trésor est dans un coffre dont la clef est dans une boite au fond d’un puits…
Un royaume de l’Amérique ordinaire, de ses cités pavillonnaires, de ses banlieues vides et de ses routes à perte de vue, mais où la réalité semble constamment s’estomper au profite d’un délire cauchemardesque insaisissable. Une version de papier de l’inquiétante étrangeté freudienne où chaque ingrédient bizarroïde s’apparente à une symbolique bien mystérieuse dont on n’est jamais vraiment sûr de la finalité. La proposition fait ainsi bien souvent penser aux tripes hypnotiques de David Lynch et en particulier à ses courts métrages plus qu’absconds et de son premier long Eraserhead. Jeune femme en forme de patate géante née de l’union de sa mère avec un homme venu des étoiles, chien poilu sans orifice qui se regonfle uniquement avec de l’eau, petite fille fumant la pipe écrivant des fictions en qui se réalisent, gourou déversant ses réponses encyclopédiques dans les toilettes d’un cinéma… Mais finalement au milieu de toutes ses situations étranges, de ces dialogues décousus et de ces personnages délirants, ce sont toujours les sourires figés, les postures normalisées et la fausse réalité qui sont les plus troublants, les plus dérangeants. Adepte d’un dessin proche de la ligne clair parfaitement européenne mais avec des contours et un encrage hérité de Robert Crumb et sa bande, Daniel Clowes donne corps à des planches faussement épurées, faussement immobiles mais où la pure folie semble toujours prête à sauter à la gorge du lecteur. Un bad trip fascinant jusqu’à terme.