COLT & COAL

France – 2024
Genre : Western
Dessinateur : Mr Fab
Scénariste : Vincent Brugeas
Nombre de pages : 72 pages
Éditeur : Glénat
Date de sortie : 03 avril 2024
LE PITCH
1894, Amérique. À Newcastle, la mine recrache chaque jour son lot d’ouvriers. Pour continuer à extraire en masse le charbon, les habitants ont vu affluer en ville des immigrés tchèques. Prêts à descendre dans les boyaux étroits au péril de leur vie, ils obéissent aux ordres de l’homme le plus influent de la région, Horace Frick. Mais quand l’un des mineurs est sauvagement assassiné, la colère gronde. Dans ce contexte explosif, Horace a tout intérêt à ce que ce crime soit élucidé au plus vite, quitte à employer des méthodes crapuleuses.
Le charbon sous les plaines
Dans les ombres du western, les hommes ne sont pas seulement tombés à l’issue d’un duel au soleil, mais aussi parfois ensevelis sous les mines de charbons. A la croisée de l’Amérique sauvage et de la nouvelle civilisation, Colt & Coal conte une sombre histoire de vengeance sur fond d’exploitation ouvrière.
Sans doute qu’il y a quelque chose dans l’air, comme une odeur, une inspiration, mais il est amusant de noter qu’en quelques semaines sont sortis une bande dessinée comme Red Gun, revisitant le mythe de l’éventreur le long de la ligne du transcontinental en construction, une inespérée édition Bluray du superbe Matewan de John Sayles transformant un épisode tragique du combat syndicaliste en western moderne, et le présent album, pas loin justement de faire la synthèse entre les deux. Retour donc dans l’Amérique de l’entre-deux lorsque les vieilles légendes perdent de leur superbe, ici un shériff assujetti au propriétaire terrien du coin et rêvant surtout de tranquillité et de solution facile, et que les grands paysages sauvages se transforment déjà, meurtris par le libéralisme triomphant. De même la ville de Newcastle semble scindée en deux avec d’un coté la vieille ville, avec son avenue principale, son saloon, son bordel, ses maisons en bois, et de l’autre une gigantesque mine où vont se perdre des immigrés venus de l’Europe de l’Est traité comme les esclaves ou presque. C’est à la jonction des deux que Vincent Brugeas (Block 109, Chaos Team, Le Roy des Ribauds…) fait naitre son récit, inauguré par un meurtre brutal qui n’est bien entendu que le premier d’une triste série.
Le droit du sol
Un meurtrier insaisissable qui semble régler ses comptes avec les hommes de main de l’industriel, et qui fait inévitablement monter violemment les tensions entre les mineurs et leur employeur, qui n’hésite pas d’ailleurs à utiliser quelques méthodes particulièrement cruelles, quitte à chercher un bouc émissaire facile. Le bourreau est-il bel et bien un mineur revanchard, un authentique sociopathe précurseur ou la personnification d’une injustice plus profonde ? Entre thriller, drame social et, cela va de soi, western, Colt & Coal, use au mieux de son enquête pour souligner un Ouest de moins en moins sauvage et dont la légende se fait progressivement bouffer par l’industrialisation. Une ambiance bien crépusculaire, des personnages (le fameux shériff, l’institutrice…) qui esquivent assez élégamment les habituels clichés, une trame policière qui réservent quelques surprises et une toile de fond relativement chargée, donnent effectivement à l’album une identité très particulière. Une note qu’a parfaitement compris l’illustrateur signant Mr. Fab, révélé par Spyder et largement confirmé par La Tour, qui peut dès lors rendre hommage comme il se doit à sa lecture de jeunesse : Blueberry. On y reconnait un certain réalisme dans les traits des personnages, une certaine accumulation de détails, de grains, un rapprochement avec la BD historique à l’ancienne, mais toujours contrebalancé par les aspirations plus terriennes de l’école italienne, et des élans volontiers plus sombres, pas si loin justement du roman noir, voir même du récit d’horreur. Une belle proposition, forte et prenante.