CHIENS DE PRAIRIE

France, Belgique – 1996
Genre : Western
Dessinateur : Philippe Berthet
Scénariste : Philippe Foerster
Nombre de pages : 64 pages
Éditeur : Anspach
Date de sortie : 23 mai 2025
LE PITCH
1876. Calamity Jane retrouve J.B. Bone, un ex-ami. Ivrogne, pilleur de banques, tueur… J.B. est une ordure qui traîne sa carcasse sur les pistes, pourchassé par les chasseurs de primes. Difficile de leur échapper quand on traîne avec soi un cercueil et un gamin sourd-muet…
Impitoyables
Sortie en 1996 chez Delcourt au sein de sa regrettée collection Contrebande, la seconde collaboration entre Berthet et Foester, après L’œil du chasseur, se dote d’une superbe réédition chez Anspach avec en prime un cahier analytique en fin d’album. Parfait pour (re)découvrir ce grand western crépusculaire.
Après le récit culte de Spirou, L’œil du chasseur, plongée jusqu’aux coudes dans les remugles du bayou et de la crasse sudiste, Philippe Berthet et Philippe Foerster se lancent dans des carrières solos plutôt occupées avec pour l’un la trilogie iconique Pin-Up et pour l’autre une bonne poignée d’histoires particulièrement macabres dans les pages de Fluide Glacial. Leurs styles et leurs écritures murissent doucement mais surement jusqu’à ce que huit ans plus tard, les associés se retrouvent pour une nouvelle proposition. Et ce sera un western cette fois, voulu comme un authentique fantasme de fan, nourris par des décennies de romans à quatre-sou, de BD inoubliables (comment passer après Blueberry ?) et bien entendu de grands classiques américains et de relectures italiennes. Foerster s’impose alors de reprendre peu ou proue tous les clichés habituels du genre, du vieux gangster sur le chemin de la rédemption au gamin « différent » qu’il prend sous son aile, en passant par le cercueil qu’il transporte derrière lui, les chasseurs de primes, les indiens, la partie de poker… mais développe sa légende post-moderne dans un réseaux de petits faits historiques que la crédibilise. A commencer par le choix de Calamity Jane comme narratrice extérieure, dont les mots sont quasiment toujours repris de ses fameuses lettres envoyées à sa fille.
D’une légende à l’autre
Au-delà d’évènements parfois grandiloquents, bigger than life et un poil improbables, l’auteur s’amuse certainement à jouer avec la véracité des évènements et l’aspect purement mythologique d’un récit foncièrement classique dans ses grandes lignes. Mais on est cependant loin d’une simple balade décontractée à la Lucky Luke, au-delà du chemin psychologique traversé par l’anti-héros J.B. Bone, salopard opportuniste et assassin revanchard touché au cœur par un gosse, Chiens de prairie travaille tout du long une atmosphère lourde, hantée par la mort et la disparition. On ne parle pas ici uniquement du corps de l’ancien associé pourrissant de chapitre en chapitre, mais aussi de cette meute menée par un prédicateur illuminé et tortionnaire dont les secrets ne seront révélés que lors du grand final… dans un cimetière cela va de soi. Entre ombres et lumières, classicisme et modernité, Chiens de prairie laisse les coudées franches à un Philippe Berthet qui prend un peu de distance avec son style plus fouillé et pointu de Pin-Up ou Sur la route de Selma, optant pour un style semi-réaliste, épuré. Il capte ici à merveille les effluves crépusculaires du western, insufflant un admirable tempo à cette fresque dense tout en jouant par son découpage (pas loin du zoom parfois) et ses cadrages avec une grammaire des plus cinématographiques. Des planches enthousiasmantes qui n’auraient sans doute pas eu la même portée non plus sans les couleurs, terreuses et ténébreuses de Dominique David, connue aussi comme dessinatrice pour ses séries Jimmy Boy et Lipstick.
Un album référence qui après L’œil du chasseur rappelle l’évidence de ces deux collaborations entre Foerster et Berthet… Deux seulement ? Il semblerait que l’éditeur belge nous prépare une surprise à venir d’ici la fin de l’année.