CARNAGE

伊藤潤二傑作集 – Japon – 2002/2006
Genre : Horreur
Dessinateur : Junji Ito
Scénariste : Junji Ito
Nombre de pages : 400 pages
Éditeur : Mangetsu
Date de sortie : 24 janvier 2024
LE PITCH
Des hordes de chauves-souris qui se nourrissent de sang, une bibliothèque hantée par les personnages des livres qu’elle contient, un village fantôme recouvert d’éclats de miroirs brisés, une jolie jeune femme au visage mystérieusement ensanglanté, une chanson qui pousse à la folie…
L’horreur et ses déraisons
La collection Junji Ito de Mangetsu continue tranquillement son chemin avec pour 2024 un premier volume intitulé chez nous Carnage. Rien que ça. Une nouvelle sélection de courts récits cauchemardesques, délirants et surtout terriblement dérangeants.
Pour ceux qui s’intéressent un peu à la cuisine éditoriale, le présent volume comme toujours présenté dans une superbe édition avec couverture en dur, surjaquette et lettrage doré, est héritée de premiers recueils japonais parus respectivement en 2003 (Yami no Koe) et 2006 (Shin Yami no Koe: Kaidan). Des récits publiés aux préalables dans la revue shojo Nemuki+ des éditions Asahi Shimbun et finalement regroupés en un seul tome en 2013. Mais en France, trois de ces nouvelles, consacrées au personnage de Soichi, ont déjà été présentés dans le volume correspondant et ont donc été écartés ici au profit de l’inédit, et assez sidérant, Stratophobie datant de 2017. Un petit bijou dont il aurait effectivement été dommage de se passer tant la maitrise visuelle de l’artiste (il faut voir la maniaquerie de ce corps composé en strates de peaux…) et la visualisation absolument grotesque d’un pur concept de body horror vient prendre corps non pas vraiment dans le cadre d’une malédiction (même si cela est évoquée) mais bien dans les dysfonctionnements destructeurs d’une mère envers ses deux filles. Plus que jamais dans le présent album, l’horreur du mangaka ne s’échappent plus de quelques effluves de contes gothiques, d’anciennes figures du monstre ou de simples légendes urbaines, mais bien du désordre psychologique et du mal être de ses protagonistes.
Esprits frappeurs
Une jeune fille anorexique poursuivie par un prétendants et ses chauves-souris vampires pourtant si attentionnées ; les victimes emportées par un torrent qui ne cessent de réapparaitre devant le dernier survivants ; deux versants d’un même village qui se sont détruits en se scrutant pendants des décennies avec une haine inextinguible ; un époux qui va perdre la raison à vouloir protéger la gigantesque bibliothèque de ses parents disparus ; une chanson de rupture et de reproches qui détruit l’esprit de tout ceux qui l’ont entendu… Le plus symptomatique étant alors peut-être Les Damnées et ces étranges visions, baroques et poétiques, de victimes d’une curieuse rigidité qui obligent les victimes à prendre des positions de pénitents dans toute la ville et qui se révèlera être une expression ultime de leur culpabilité honteuse… et de leur monstruosité intérieure. Ito ne laisse jamais celle-ci enfouie bien longtemps, en particulier lorsqu’elle est dissimulée derrière le jolie visage d’une jeune femme croisée au bord de la route en pleine nuit. Une amante mystérieuse qui ne fait en définitive que dévorer (et salement en plus) les esprits qui gravitent autour de sa cible, et qui n’hésitera pas provoquer la mort de son entourage afin d’accroitre son garde-manger.
Le gore le plus infâme apparait toujours au coin de la route comme lorsque dans Pulvérisé quelques adeptes d’un nectar au got prodigieux se font écraser comme des moustiques par une force venue d’ailleurs, et surtout comme dans Lipidémie, petit bijou de grotesque déjà apparu dans les pages de Les Chef d’œuvres Tome 1. Une version exacerbée des troubles de l’acné où le gras et le sébum semblent dégouliner dans chaque case, du décor et des visages, le tout sur fond de cannibalisme familial… Et bon appétit bien sûr !
Un sacré morceau au milieu d’un recueil particulièrement réussi où comme toujours les fils initiaux nous emmènent sur des territoires inattendus, puissamment graphiques et définitivement obsédants.