CAPTIFS
France – 2023
Genre : Aventure, Historique
Dessinateur : Olivier Ormière
Scénariste : Benoit Rivière
Nombre de pages : 120 pages
Éditeur : Les Humanoïdes Associés
Date de sortie : 30 août 2023
LE PITCH
Août 1754, Nouvelle-Angleterre. Capturée par des Indiens Abénaquis, une famille de fermiers anglais, les Johnson, est réduite en esclavage. Commence un long voyage aux limites du tolérable, au bout duquel seuls les plus forts survivront. Un cauchemar qui ne s’arrêtera pas lorsqu’ils seront vendus aux Français qui occupent Montréal.
D’un monde à l’autre
Il n’y a pas que de la SF chez les Humanoïdes, il y a aussi de l’aventure. Et historique même ! Dans un superbe album grand format, Captifs décrit ainsi le rapt d’une famille de colons par des Indiens Abénaquis en pleine guerre d’indépendance américaine. Et comme souvent, les sauvages ne sont pas forcément ceux en pagnes.
XVIIIème siècle dans les Amériques, alors que le royaume de France et l’Angleterre faisaient monter la tension aux frontières de leurs colonies, il n’était pas rare que les autorités françaises commandent à leurs « alliés » indiens quelques nouveaux esclaves adverses. Des hommes pour le travail, des femmes pour le plaisir et des enfants pour combler des envies d’adoptions. Une ignominie souvent oubliée qui instrumentalisait autant l’autre blanc, que les peuples autochtones qui ne trouvaient là qu’un moyen de survie temporaire, d’alliance précaire et sans doute aussi de vengeance contre les envahisseurs. En s’inspirant de l’autobiographie de Susanna Johnson, Benoit Rivière (Identités troubles, Chasseur d’héritier…) plonge à bras le corps dans une période historique troublée et violente et en explore avec force de détails et de réalisme tous les rouages, enjeux, politiques ou plus personnels. Mais surtout, il en tire un superbe récit d’aventure, un périple déchirant et passionnant qui va mener la famille Johnson de sa petite ferme qu’ils croyaient protégés aux rives de Montréal berceau espéré d’une civilisation occidentale mais sous le joug d’une aristocratie locale immorale.
D’une vie à l’autre
Séparés, réunis, meurtris, tiraillés par la peur, les reproches et les regrets, les protagonistes finissent forcément par se reprocher surtout de leurs kidnappeurs et voir dans l’organisation et la philosophie des abénaquis un ordre beaucoup plus compréhensible et humains. Pas de manichéisme tout de même, l’auteur se garde bien de d’offrir un portrait angélique aux charmants sauvages, et construit justement cette longue traversée sous escorte au travers de superbes paysages sauvages, montagnes, forêts et rivières encore libre, une exploration complexe et parfois ambigu des sentiments humains. Une confrontation à l’autre, à l’étranger et à la dangerosité du monde d’alors, illustré avec beaucoup de soin par un artiste bien rare, Olivier Ormière dont le dernier album, Le Temps du rêve date de 2013. Là aussi d’ailleurs son style photoréaliste très particulier était au service d’un drame historique (sur le destin des soldats aborigènes durant la Première Guerre Mondiale) dont il crédibilise autant le contexte, le décor naturel, la précision de la reconstitution que la personnalité et les réactions des personnages. Une démarche esthétique qui a cependant toujours un coût, celui de livrer quelques planches et actions un peu figées et surtout une colorisation et des modélisations numériques qui tranchent parfois un peu trop avec le reste. Un traitement en couleurs directes, type aquarelles, aurait certainement encore rehaussé, le souffle de cette fresque humaine palpitante.