BUNKERVILLE
France – 2024
Genre : Fantastique
Dessinateur : Vincenzo Balzano
Scénariste : Pascal Chind, Benjamin Legrand
Nombre de pages : 160 pages
Éditeur : Ankama Editions
Date de sortie : 05 janvier 2024
LE PITCH
Laurel, un jeune golden boy mélancolique, s’enfonce dans l’océan pour rejoindre dans la mort Éléonore, l’amour de sa vie. Mais lorsque ce dernier rouvre les yeux, il se retrouve sur une île flottante mécanisée où a été construite une vieille cité rafistolée à l’aspect très vernien. Enveloppée d’un épais brouillard, Bunkerville fut bâtie au milieu du XIXe siècle par un riche industriel. L’homme voulait offrir à son fils, atteint d’un trouble mental, une vie « normale » en créant un monde clos et autonome avec une population qui lui ressemble…
La cité des esprits perdus
Du grand écran au format album, Bunkerville marque le retour du dessinateur plébiscité Vincenzo Balzano (les planches seront d’ailleurs présentées dans une galerie parisienne) pour un nouveau voyage envoutant, entre rêve et cauchemar, dans une cité où tout déraille.
Bunkerville est un projet qui remonte à loin. Son auteur principal, Pascal Chind, l’avait en effet au départ conçu comme une proposition cinématographique s’associant au scénariste Benjamin Legrand (Le Transperceneige) et profitant de premières recherches graphiques signées François Schuiten (Les Cités obscures). Trop couteux, trop ambitieux pour une industrie française toujours frileuse envers les grands récits fantastiques, l’idée s’endort quelques années avant de revenir comme une évidence pour Chind : « Bunkerville est fait pour la BD ! ».
Fait, on ne sait pas, mais plus adapté certainement car il y est question d’une étrange citée voguant sur les eaux, dissimulées dans un brouillard impénétrable et dont tous les habitant seraient restés coincés dans un XIXe siècle devenu décadent à force d’autarcie. Un décor gigantesque, à l’architecture délirante pour une extrapolation grandiloquente de l’œuvre de Jules Vernes, des habitants s’enfonçant totalement dans une mécanique totalement folle et une atmosphère confinant constamment au rêve éveillé, ont effectivement de quoi faire fuir les financiers hexagonaux. Cela sied cependant parfaitement à l’illustrateur Vincenzo Balzano (Adlivun, Clinton Road) qui s’y engouffre avec force, mêlant les traits et les textures, jouant de cases en mouvements et d’angles décalés pour donner corps à un univers graphique onirique et insaisissable.
Quand on y songe
Il sait effectivement jouer des aspects « rétro » du récit, tout en y apportant une sophistication technique tout à fait moderne, rappelant souvent par ses visions surréalistes le travail du génial Dave McKeen. Tout est ainsi fait pour que l’on se perde dans les pages peintes, suivant les pas de Laurel, jeune homme désespéré à la recherche de l’amour de sa vie, Eléonore, qui se serait suicidée dans les eaux. Il découvre ici qu’elle n’a fait que revenir chez elle, institutrice dans une école d’endoctrinement où certains enfants ont 45 ans, s’efforçant d’échapper au tyran local qui la veut pour femme. Le héros découvre les codes et les absurdités de Bunkerville, manque de se faire décapiter, est constamment poursuivit par le service d’ordres aux airs de mimes, avant de comprendre le fin mot de l’histoire : la ville fut construite par un riche milliardaire pour donner un cadre « normal » à son fils diagnostiqué malade mental. Difficile de ne pas penser parfois aux airs de contes de fées de La Cité des enfants perdus, de reconnaitre (un peu trop parfois peut-être) des atours steampunk de la série de jeux Bioshock, mais Bunkerville peut aussi bien se lire comme une aventure fantastique et improbable parsemée de tableaux couleurs rouille, que comme l’exploration des névroses dévorante d’un jeune homme qui se refuse à accepter la réalité et réinterprète celle-ci à l’orée de ses fantasmes. L’esprit est toujours la plus belle et la plus terrible des prisons.