BLACK GOSPEL

France – 2025
Genre : Policier
Dessinateur : Boris Beuzelin
Scénariste : Laurent Frédéric Bollée
Nombre de pages : 168 pages
Éditeur : Robinson
Date de sortie : 4 juin 2025
LE PITCH
« I have a dream… » Quatre mots parmi les plus célèbres au monde, prononcés par Martin Luther King le 28 août 1963 à Washington, lors de la Marche pour le travail et la liberté. Mais quand, en août 1983, on s’apprête à célébrer le 20e anniversaire du discours et que deux jeunes stagiaires d’un cabinet d’avocats de Manhattan sont retrouvées mortes chez elles, on pense qu’un tueur en série a commencé à fêter à sa manière ce jour historique… Le rêve se transforme en cauchemar…
D’un rêve à l’autre
Ambiance hard boiled et sombre à souhait pour Black Gospel, polar fataliste entre New York et Washington sur les traces d’un serial killer d’un nouveau genre. Un noir et blanc tranché, une atmosphère poisseuse et sulfureuse… ça aurait pu être un roman américain. C’est une BD française.
Album grand format et planches sans couleurs pour Black Gospel dont le traitement visuel tout en contrastes, oppositions constantes de zones noires et de zones blanches affiche parfois les mêmes lignes et les mêmes matières épurées à l’extrême qu’un Frank Miller sur Sin City. Apprécié sur Sanson et l’amateur de souffrance ou la série Parias, Boris Beuzelin semble vraiment se découvrir une nouvelle dimension ici, assurant des planches plus percutantes encore. Sa ligne droite et précise joue effectivement sur une certaine efficacité pour dépeindre les environnements et les décors, de deux grandes cités américaines à une région plus reculées d’Afrique (pourquoi ? à vous de lire) mais scrute surtout avec force ses personnages, prisonniers d’une réalité cruelle et violente. L’un est un vieux flics new-yorkais blasé et aux vieux relents racistes, l’autre une plus jeune recrue, asiatique, qui doit combiner avec les méthodes parfois douteuses de son nouveau partenaire, mais tout deux se montrent suffisamment obstinés et professionnels pour remonter peu à peu le fil de cette enquête. Sur les traces d’un serial killer donc, semblant fêter à sa façon les vingt ans du fameux discours de Martin Luther King devant le Lincoln Memorial à Washington, en semant derrière lui le cadavre de deux jeunes avocates, d’un ancien diacre voire d’un commissaire, tous noirs, tous désormais porteurs d’un message rageux et délirant.
Déraison et châtiments
Laurent Frédéric Bollée (H@cktivists, Lady S., La Bombe…) prend d’ailleurs le parti de nous présenter dès les premières pages l’identité du tueur et va surtout construire son récit en deux lignes parallèles : l’une concentrée sur l’enquête contemporaine et la course contre la montre qui va s’engager avant que les festivités ne tournent au drame, l’autre remontant le temps par flashback ou indices pour expliquer le drame de cet homme, les causes de son modus operandi (complexe) et de sa folie. Les deux branches sont parfaitement orchestrées, intimement liés, et autant les deux policiers (même l’antipathique) que l’assassin finissent par obtenir une certaine épaisseur, et si ce n’est notre sympathie, notre compréhension. Ouvertement inspiré par sa lecture des romans de James Ellroy, le scénariste mêle très habillement son drame policier intense et sanglant dans la grande Histoire, disséminant quelques éléments réels plus ou moins connus (les deux femmes assassinées deux jours avec le fameux discours, l’importance d’un autre grand penseur et militant de la cause noir…) à la fois pour donner plus d’épaisseur et de crédibilité à ce Black Gospel, mais aussi poursuivre cette réflexion sur la cause afro-américaine, sur les tragédies du continent noir, mêler racisme ordinaire et systémique et plus généralement cette perpétuation de la souffrance.
Comme un grand roman noir donc, où tout un chacun se débat avec un destin écrit d’avance, où les injustice d’hier façonnent celles de demains, et où l’histoire d’amour la plus inattendue de la brute (vieux flic aigri) envers la belle (superbe et intelligente avocate de couleur) ne peut que s’achever dans une tristesse infinie. Surprenant et prenant.