BATMAN : CITY OF MADNESS
Batman City of Madness #1-3 – Etats-Unis – 2024
Genre : Super-héros, Fantastique
Dessinateur : Christian Ward
Scénariste : Christian Ward
Nombre de pages : 168 pages
Éditeur : Urban Comics
Date de sortie : 18 octobre 2024
LE PITCH
La Cour des Hiboux, sinistre cabale gothamienne qui tire les ficelles dans l’ombre, garde un portail menant à une Gotham City déformée, en proie à des créatures terrifiantes dépassant largement les frontières de l’imaginable. Quand ce passage entre les deux mondes cède une créature de la nuit s’infiltre dans Gotham avec un objectif bien précis en tête : trouver son propre Robin pour l’accompagner dans son éternelle quête de vengeance.
Gotham Asylum
Après avoir plongé le brave Aquaman dans les profondeurs de l’horreur, Christian Ward revient chez DC, en artiste complet cette fois-ci, pour une virée du cotée de la plus ténébreuse encore Gotham. Une citée double, dont un reflet oublié s’apprête à rejaillir et contaminer la surface de sa folie. Une « suite » inattendue à un sacré classique datant de 1989…
Comme beaucoup d’artistes de comics, Christian Ward (Invisible Kingdom, ODY-C, Black Bolt…) a été profondément marqué par sa découverte des aventures de Batman, et sans doute plus encore par l’incroyable transformation opérée à la fin des années 80 entre quelques one-shot mythiques (The Killing Joke pour n’en citer qu’un) et bien entendu le film de Tim Burton. Un Batman plus gothique que jamais, se débattant dans une ville de fous furieux, de serial killers, dans des aventures de plus en plus violentes et adultes. La possibilité offerte par DC de livrer sa propre histoire du cape crusader dans le cadre libre, et mature, du Black Label, il la perçoit forcément comme l’occasion rêvée de rendre hommage à ces lectures qui l’ont bercé, voire traumatisé, à l’instar d’un certain Arkham Asylum de Grant Morrison et Dave McKeen. Une nuit cauchemardesque au sein du fameux asile de la ville où même Bruce Wayne manque définitivement de se perdre, auquel l’artiste propose une suite lointaine, plus de trente ans après, et un prolongement aussi bien onirique que géographique. On découvre ainsi dans ce récit en trois chapitres que la cité à toujours été double, la Gotham d’en haut et la Gotham d’en bas, la seconde reflétant les âmes de la première et surtout servant de repère à une entité profondément ancienne se nourrissant de la rancœur, du désespoir, de la férocité et de démence de ses habitants.
Tête de sushi et autres histoires
Une vision déformée et cauchemardesque qui a aussi son propre Batman : un monstre brutal et sans pitié au visage tentaculaire. Naturellement les effluves du mythe de Cthulhu ne sont pas loin non plus, mais elles viennent surtout consolider un univers esthétique extrêmement inventif, sombre mais coloré, profonds, parfois réaliste, mais jouant tout autant sur les aplats, les formes excessives, que sur les mélanges de matières et d’identités, qui scient à la perfection à l’aventure proposée. Elles scient surtout tout particulièrement à Double-face dont on trouve ici une des meilleures illustrations. Christian Ward propose véritablement un voyage dans une hallucination collective, un Batman d’épouvante où même ses pires ennemis (Gueule d’argile, Scarface…) s’inquiètent de leur basculement progressif dans une sauvagerie inédite. Une atmosphère attrayante, des planches souvent superbes, des réinterprétations séduisantes, City of Madness ploie cependant constamment sous le poids d’un scénario bien trop chaotique croisant ainsi les échos d’Arkham Asylum mais aussi ceux de La Cour des hiboux de Scott Snyder et Greg Capullo, faisant apparaitre de nombreux personnages secondaires peu utiles (de Nightwing à Flamingo), s’efforçant de rejouer la rédemption d’un nouveau Robin potentiel, tout cela en mettant vaguement notre Batman face à son double. Une histoire trop dispersée, trop référentielle, pour véritablement passionner et convaincre, où affleure certes le plaisir de signer SON album de Batman, mais aussi et surtout un coté fan-boy maladroit.
City of Madness n’est pas vraiment la révolution attendue, ou le croisement mémorable tant vanté entre la prose lovecraftienne et la licence de DC, mais est clairement une nouvelle démonstration graphique de Christian Ward, artiste dont les explosions de couleurs se marient étrangement très bien avec les frontières batmaniennes. Son écriture cependant manque encore de maturité et de fermeté pour réellement s’imposer.