AUCUNE TOMBE ASSEZ PROFONDE
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Ain’t No Grave #1-5 – Etats-Unis – 2024
Genre : Western
Dessinateur : Jorge Corona
Scénariste : Skottie Young
Nombre de pages : 152 pages
Éditeur : Urban Comics
Date de sortie : 7 février 2025
LE PITCH
Après une vie de crime et de violence, Ryder est tombée amoureuse et a choisi de se ranger pour se concentrer sur son rôle de mère. Mais lorsqu’elle apprend que tout ce pour quoi elle s’est battue risque de lui être enlevé, elle reprend ses revolvers et se met en route, car le temps lui est compté. Direction : Cypress, la ville à l’autre bout du monde. Son objectif : tuer celle qui tente de lui prendre la vie… la Mort elle-même.
La dernière carte à jouer
Les auteurs de Middlewest retournent aux atmosphères sépulcrales de leur Celui que tu aimes dans les ténèbres en illustrant cette fois-ci directement les cinq étapes du deuil. Cinq chapitres menant à l’acceptation de la fatalité pour Cypress… Mais pour cette ancienne desperado pas question de partir sans se battre.
Grand créateur de la fresque féerique, épique et chaotique I Hate Fairy Tales, Scottie Young cultive aussi une part beaucoup plus sombre et adulte. Un versant justement récemment très bien développé aux cotés du copain dessinateur Jorge Corona comme vient le prouver une nouvelle fois Aucune Tombe assez profonde. Un récit profondément tragique et déchirant où une mère de famille, ancienne pilleuse de banques et détrousseuse de diligences, se découvre atteinte d’une maladie mortelle. Plus que quelques jours à vivre, quelques semaines à la rigueur, mais plutôt que de les passer avec son époux et sa fille, elle décide d’aller s’en prendre directement à la Mort, les colts bien tendus, comme elle l’a toujours fait. Une mini-série construite en cinq chapitres / fascicules, pour mieux suivre le schéma des 5 étapes du deuil (Le déni, la colère, Le marchandage, la dépression et l’acceptation) et le combat finalement plus contre elle-même de la protagoniste. Versant féminin du Bill Munny de Impitoyable, elle doit en effet, malgré sa rage et son désaveu, échapper à ses propres fantômes, que ce soit d’anciennes victimes ou de mauvaises décisions prises tout au long de sa vie. Peut-elle vraiment s’affranchir d’elle-même et se montrer digne de ceux qu’elle aime ? Scottie Young ne lui rend pas la (fin de) vie facile et la malmène durement jusqu’à un terrible duel au soleil contre une faucheuse au look de chasseur de prime légendaire.
5 balles dans le barillet
Un chemin de croix sans retour, très solide dans sa construction, touchant dans le portrait de cette femme qui a tant aimée mais qui a aussi beaucoup à se faire pardonner, qui n’opte cependant effectivement pas pour le drame classique et les atermoiements purement psychologique. Car Aucune tombe assez profonde est aussi un sacré western crépusculaire qui s’engouffre dans un mélange de mythes amérindiens et d’extrapolations fantastiques rappelant parfois certains passages du Manoir Hanté de Disneyland, où très vite Ryder va découvrir un monde parallèle peuplé de créatures marchandant le cheminement des âmes où jouant leur salut aux cartes dans un bordel aussi décadent que flippant. De l’épouvante baroque, des poses iconiques dignes du bon vieux Far West en cinémascope, servis de mains de maitre par un Jorge Corona (la dernière série Transformers, Batgirls, Teen Titans Go !…) plus stylé que jamais. Dans l’album, les illustrations sont ainsi très souvent mises en avant, réduisant les dialogues à l’essentiel (un chapitre est même quasiment silencieux), explorant des constructions en formats larges, pleines et doubles pages, cases décadrées, poses alambiquées, venant autant donner corps à un au-delà furieusement baroque, qu’à un ouest sauvage mythologique. Le trait très anguleux et fouillé de l’artiste n’est pas forcément des plus consensuels, mais il impulse véritablement une énergie folle à ces compositions et à une histoire, poignante, mais jamais plombée par le poids du deuil.
La mort est fatale, mais ce n’est pas pour cela qu’il faudrait en devenir fataliste. Les derniers planches, entre célébration lyrique du temps qui passe et de ce qu’on laisse au vivant, offrent une très belle touche finale.