ARZACH
France – 1975 / 1976
Genre : Fantastique
Dessinateur : Moebius
Scénariste : Moebius
Nombre de pages : 34 pages
Éditeur : Les Humanoïdes Associés
Date de sortie : 16 octobre 2024
LE PITCH
Un Homme juché sur un ptérodactyle blanc traverse des paysages désolé inconnu sans réel but ni finalité.
L’art de l’inconscient(ce)
Pour célébrer les 50 ans des Humanoïdes Associés, l’éditeur multiplie les publications évènements (voir Opus Humano et le poster géant Des Lendemains qui hurlent) mais aussi les rééditions de grands succès et de classique. Quoi de plus évident que de proposer une nouvelle publication, luxe, de Arzach, acte de naissance d’un immense artiste : Moebius.
Bien entendu cela fait déjà plus de dix ans que Jean Giraud était un artiste installé, signature incontournable de la revue Pilote et illustrateur de l’extraordinaire western Blueberry écrit par Jean-Michel Charlier. Mais la création des Humanoïdes associés avec les camarades Philippe Druillet, Bernard Farkas et Jean-Pierre Dionnet et surtout la publication de la revue Métal Hurlant va lui permettre de réactiver un pseudonyme croisé jusque-là épisodiquement : Moebius. Une manière de se détacher des récits sages et classiques qui va dès lors devenir son identité d’artiste principale et une signature reconnue dans le monde entier. Et ce grand acte d’indépendance artistique va véritablement prendre son essor avec Arzach. Une petite succession d’aventures de quelques pages, prépubliée dans Métal Hurlant cela va de soi, où le protagoniste susnommé fend l’horizon, monté sur un ptéroide, étrange créature volante pseudo-préhistorique dont on retrouvera bien plus tard un gentil cousin dans les pages de L’Incal. Moebius le dessinateur est encore marquée par sa recherche forcenée de précision, de détails et de textures particulièrement remarquables par ses contours souvent striés pour ajouter du relief et par un réalisme pointu des corps (et on ne parle pas que des énormes bistouquettes), et déploie à chacune des planches de véritables trésors de compositions, un traitement renversant des couleurs et un sens épique considérable.
Le sens de la vie
Voir Arzach survoler une bataille digne du meilleur blockbuster d’heroic fantasy aura définitivement laissé des traces, inspirant, entre autres, l’ultime segment de l’excellent film d’animation Métal Hurlant. Splendide soit, mais Moebius n’est plus Jean Giraud et cette démesure visuelle est au service d’un esprit de trublion, de gamin potache, d’inventeur fantasque qui arrache systématiquement tout le sens spectaculaire attendu. Dans les premières pages Arzach combat (sans grande conviction) un humanoïde monstrueux pour sauver une belle donzelle nue… mais qui se révèlera dotée d’un visage affreux. Dans un autre il laisse un géant se faire boulotter par des algues carnivores. Mieux, le troisième chapitre jouera la carte de l’incongru avec un technicien affrontant une horde de zombies pour faire redémarrer un ptéroide tombé en rade, là où l’ultime chapitre ne mènera… à rien. Ou presque puisque l’album s’achève sur quelques visions mystiques extirpées du chapeau. Même notre brave héros est une icône d’inconstante puisque l’auteur s’amuse à changer systématiquement son orthographe, passant de Arzak, Arzach, Harzac à Harzach. Une écriture libre, expérimentale, sans soucis de cohérence ou de compréhension réel d’un lecteur, uniquement au service du voyage, de l’expérience. Dans Métal Hurlant 4, le gourou de la nouvelle bédé annonçait la couleur en s’exprimant ainsi « On peut très bien imaginer une histoire en forme d’éléphant, de champ de blé, ou de flamme d’allumette soufrée ». Voilà.
Le recueil n’a beau être composé que d’une trentaine de pages, la puissance et l’inventivité qui s’en dégage vaut bien un pavé de 500 en format géant. Un monument soit, mais toujours aussi juvénile et irrévérencieux.