Duo largement apprécié et révéré par les fans pour la fameuse prestation Avengers Forever, Kurt Busiek (Astro City, Marvels…) et Carlos Pacheco, imaginèrent donc au début des années 2000 l’univers brillant et particulièrement riche d’Arrowsmith. Un grand récit historique mais se déroulant dans un monde parallèle où l’Europe médiévale aurait gardé son hégémonie sur le monde, où l’Amérique serait restée un voisinage d’états indépendants, mais surtout un monde où la magie aurait toujours eu sa place. Comme dans un pur récit de Fantasy on y croise donc des géants de pierre, des gobelins, des vampires, des dragons, des magiciens… Ici tous plongées dans un terrible conflit qui oppose le monde libre à la Prusse et ses alliés. Nous sommes en 1915 et la Première Guerre Mondiale fait rage. Ici les affrontements ne se font plus à coups de tirs de mortiers, de bombardements à bords de chasseurs rétro et de gaz moutarde, mais par assaut de trolls en flamme, de nuages transformant les soldats en zombie survolés par des unités aériennes tirants leurs capacités de jeunes dragons. Une élite, fringante et charismatique à laquelle rêve d’appartenir Fletcher Arrowsmith, jeune américain qui fuit la demeure familiale et s’embarque avec son meilleur ami pour la lointaine Europe afin de contrer les forces du mal.

Les Sentinelles de l’air

Des batailles comme des grands spectacles épiques, un fantastique qui auréole l’ensemble d’une légèreté inédite… Et pourtant très vite, une fois l’entrainement passé, la dure réalité de la guerre va rapidement frapper la jeune garde en plein cœur. Le grand divertissement annoncé tourne ainsi rapidement à la chronique de plus en plus désenchantée d’un jeune soldat dont les lettres envoyées à sa petite sœur se teintent de plus en plus d’une tragique fatalité alors que ses compagnons d’armes tombent les uns après les autres et que notre héros réalise la grande différence entre propagande et la barbarie absurde qui fait le quotidien des tranchées. Les planches de Carlos Pacheco ont beau être généreusement colorées, de tirer vers un trait comic relativement classique, légèrement pulp, il cohabite à merveille avec la noirceur des évènements et l’écriture de plus en plus mature des personnages et les massacres auxquels ils assistent ou participent. Un terrible récit du passage de l’adolescence rêveuse à un âge adulte où la naïveté n’a plus lieu d’être. Celui-ci capture parfaitement la véracité historique, et donne corps à une évocation admirable d’une course à des techniques de combats et des armements de plus en plus meurtriers qui provoquent une multiplication des atrocités dans les deux camps, mais toujours plongé dans cette chronologie fantaisiste et impeccablement construite. Une toile de fond certes qui ne fait que donner des couleurs à l’une des heures les plus sombres de notre histoire, mais dont la cohérence et la richesse (dont on perçoit toute la profondeur dans l’un des Appendix de l’album) donnent toute sa saveur et sa force spectaculaire à Arrowsmith.

Une première mini-série aussi puissante qu’humaniste, tout à la fois véritable pamphlet contre l’absurdité de la guerre et toile Fantasy épique, dont on attendait depuis longtemps une édition intégrale. Produite en 2022, la seconde partie devrait arriver sous peu chez Delcourt et ça aussi c’est une excellente nouvelle.