APPARITION DANS LE CIEL DE BERLIN-EST
Strange Skies Over Berlin #1-4 – États-Unis – 2020
Genre : Science-Fiction Espionnage
Dessinateur : Lisandro Estherren
Scénariste : Jeff Loveness
Nombre de pages : 112 pages
Éditeur : 404 Comics
Date de sortie : 08 juin 2023
LE PITCH
Herring est un espion américain désabusé. Stationné du côté Est du mur de Berlin, il est en proie au doute sur son rôle dans la guerre froide qui semble sans fin. Mais, lorsqu’il est envoyé en mission derrière les lignes ennemies pour infiltrer les services de renseignement Est-Allemand, il découvre que les soviétiques viennent de s’emparer d’une arme secrète qui pourrait changer le cours du conflit : une arme d’un genre nouveau venue d’ailleurs qu’ils ne comprennent pas et qu’aucun camp ne pourra jamais contrôler.
Rencontres d’autres types
Superbe édition grand format et dos toilé chez 404 Comics pour Apparition dans le ciel de Berlin-Est au titre aussi énigmatique que poétique, nouvelle création de Jeff Loveness et Lisandro Estherren duo actuellement aux commandes du très convaincant Sandman Nightmare Country. Encore une histoire de monstres, mais plus intérieurs que mystiques au final.
Scénariste de différentes séries TV (dont Rick & Morty), récemment du Ant-Man and the Wast : Quantumania et en attendant le prochain Avengers The Kang Dinasty, Jeff Loveness fait quelques détours du coté des comics de papier. Chez Marvel bien entendu sur Nova ou Amazing Spider-man, mais aussi chez un Boom ! Studio pour des projets dirons nous plus personnels comme Juda, explorant le destin prédestiné du compagnon du Christ, mais aussi le présent Apparition dans le ciel de Berlin-Est. Malgré le changement drastique d’époque et même de genre, cette mini-série partage cependant avec la précédente une réflexion proche sur la destinée et la construction identitaire de l’humain. Pour Herring sa vie a forcément été conditionnée par l’époque dans laquelle il vit, celle de la Guerre Froide, et par son engagement auprès de la CIA. Le voici donc agent double en pleine Allemagne de l’est à jouer les agents de la Stasi tout en aidant les esprits libres à traverser le mur vers l’ouest. Un métier tendu et inconfortable, et une vocation qui l’aura amené à trahir de nombreuses personnes autour de lui (en particulier une jeune femme dans un pays d’Amérique du Sud jeté ensuite en pâture à une dictature droitière) et à se trahir lui-même dans inlassable petit jeu de masques et d’enjeux troubles. Face à lui, un supérieur hiérarchique qui tient finalement sa position et sa vocation de ses origines juives et de sa survie aux horreur des camps.
La vie des autres
Tous deux se voient enfermés dans un bunker secret, obligés de composer avec les mensonges des uns et des autres alors qu’une créature venue de l’espace oblige la vérité et la culpabilité à se révéler douloureusement. Conçu clairement comme le prisme introspectif d’une période historique noyée de gris et de faux semblants, Apparition dans le ciel de Berlin Est a effectivement ce petit quelque chose d’étouffant et d’angoissant des grandes récits d’espionnages de l’époque comme L’espion qui venait du froide, et de leur descendant totalement parano façon X-Files. Une trame cathartique, auto-suffisante, mais forcément lacunaire sur certains personnages ou enjeux plus globaux, il scrute cependant avec force la part d’ombre de chacun et les confrontent à une remise en question drastique et brutale personnifiée par cette entité usant de la « vérité » pour éliminer tout alentour. Un exercice intéressant qui reste cependant un peu succinct dans sa structure avec une fin relativement trop expédiée et des explications absentes, mais qui surtout délaisse bien trop vite son ambiance glacée et inquiétante des premières pages plus réalistes et proches des thrillers politiques des 70’s au profit d’un fantastique peut-être un peu moins maitrisé. Une transition cependant admirablement négociée par Lisandro Estherren (Redneck) et la superbe colorisation aquarelle de son compère Patricio Angel Delpeche, qui passent des cadres droits et froids d’une Allemagne plongée dans les ténèbres à un délire plus SF encore marqué par les 50’s mais toujours habité par cette étrange mélancolie fataliste qui semble frapper tout l’album de son sceau.