ANIMAL MAN VOL.1
Animal Man #1-13 + Secret Origins #39 – États-Unis – 1988 /1989
Genre : Super-héros
Scénariste : Grant Morrison
Illustrateur : Chas Truog, Tom Grummett
Editeur : Urban Comics
Pages : 376 pages
Date de Sortie : 20 mai 2022
LE PITCH
Buddy Baker est un père aimant, un bon époux et un activiste pour la défense des animaux. Accessoirement, c’est un aussi un surhomme, ayant le pouvoir d’acquérir les capacités des animaux qu’il approche. Pourtant, coincé dans une vie banale, sans emploi et sans charisme, il est bien difficile de l’imaginer sauver qui que ce soit. Jusqu’au jour où Buddy enfile bottes et collants et reprend l’entraînement, bien décidé à aller au bout de son potentiel…
émergence
Trop longtemps restée inédite en France, la résurrection de l’obscur Animal Man par un étrange jeune british nommé Grant Morrison connait enfin une traduction, et une intégrale en deux volumes, chez Urban Comics. Un super-héros has-been pour un run tellement en avance sur son temps.
Éberlué devant le retentissement connu par la révolution scénaristique proposée par Alan Moore avec une reprise mémorable de Swamp Thing et bien entendu la déflagration The Watchmen, DC Comics se mit bille en tête de dégotter la nouvelle génération d’auteurs à succès en Angleterre. Parmi cette nouvelle vague de créateurs, où apparait entre autres un certain Neil Gaiman, c’est un regard certainement beaucoup plus libre sur cette mythologie moderne qui va émerger. En tête de proue donc Grant Morrison, jeune loup ayant fait ses preuves chez Marvel UK et 2000AD, mais aussi ayant déjà entamé sa réflexion sur le héros de culture pop avec Zenith, qui choisit comme première cible un certain Animal Man sur la base d’un lointain souvenir de lecture d’enfance. Une figure symptomatique à la fois de comics classiques, des personnages un poil ridicules, mais aussi de licences oubliées dans les tréfonds de la terrible sélection éditoriale. Fin connaisseur du medium et de son histoire, l’auteur s’imaginant alors engagé que pour une mini-série en quatre épisode, réintègre ce Buddy Baker relooké dans le monde contemporain, lui offre une famille bien plus dans l’ère du temps, mais surtout le confronte à des réflexions et dangers bien plus actuels. Si les pouvoirs d’Animal Man lui ont toujours permis de copier un temps les capacités des animaux environnants, Morrison fait de son retour dans le monde des gus costumés une véritable remise en question et un ré-aiguillage vers des missions prônant la défense de la cause animale, de l’écologie et du progressisme dans une Amérique décrite ici comme un terreaux de bœufs misogynes, taquineurs de moineaux et d’organismes scientifiques gouvernementaux procédant aux pires horreurs sur le vivant.
I Bless the rains down in Africa
Une véritable maturation du personnage qui séduit les lecteurs et pousse l’éditeur à transformer l’essai en série de longue durée… Et Morrison d’embarquer le titre plus loin encore autant dans la voie politique (gros chapitre sur l’apartheid), dans la réinvention d’anciens seconds couteaux (l’Animal et son pouvoir de fusion entre deux animaux), dans la parodie du genre (le vilain bedonnant le Masque rouge), dans la désacralisation du panthéon DC (le service de réhabilitation des logements de la Justice League), mais aussi dans la lecture métaphysique, et même méta, des comics en général. Si le clou sera définitivement enfoncé dans le grand final de ce récit (dans le second volume à venir) avec une rencontre aussi roublarde qu’hallucinante avec le re-créateur d’Animal Man, les indices abondent déjà aux détours de dialogues, d’une mystérieuse silhouette en bord de case ou d’une rencontre avec un peuple alien venant rééquilibrer les origines malmenées du personnage depuis le fameux Crisis On Infinite Earths. Des éléments analytiques que l’on retrouvera dans quasiment toutes les œuvres à venir de Grant Morrison, de The Invisibles (son chef d’œuvre absolu) à son run sur Batman en passant par 52 ou Multiversity, et qui émerge dès le cinquième numéro de la série : l’Evangile du coyote. Un délire total imaginant l’arrivée d’un increvable Will Coyote (oui celui des Looney Tunes) dans l’univers d’Animal Man explosant littéralement le quatrième mur avec un réalisme violent, qui secouera la série jusqu’à sa dernière page. En futur rock star des comics Grant Morrison enchaine les solos, les impros jazz, les reverb’, brisant ses instruments comme les Who, pour mieux reconstruire à chaque épisode un Opera Rock à la logique imperturbable.
Seul défaut finalement dans le tableau d’ensemble, comme beaucoup de créations de l’poque chez DC Comics (on pense aux premiers The Sandman) : l’effervescence scénaristique doit se contenter d’artistes encore trop classiques, inégaux et manifestement dépassés par la commande. Heureusement les couvertures inspirées et classieuses de Brian Bolland (The Killing Joke) capturent toute l’ironie iconique de ce petit bijou des comics.