AMERICAN FLAGG
American Flagg! #1-14 + « I Want my Empty V » – Etats-Unis – 1983/1988
Genre : Science-fiction
Scénariste : Howard Chaykin
Illustrateur : Howard Chaykin
Editeur : Urban Comics
Pages : 456 pages
Date de Sortie : 12 novembre 2021
LE PITCH
2031 : une crise économique de grande ampleur a forcé le gouvernement des États-Unis à se relocaliser sur Mars. À présent, les grandes métropoles américaines, dont Chicago, se réorganisent autour de centres commerciaux géants où l’on abreuvent les habitants de programmes racoleurs aux messages subliminaux ultra-violents. Dans ce contexte délétère, l’arrivée dans les forces de police des Plexus Rangers de Reuben Flagg, ancienne star de télé-réalité, va mener la ville à la révolte et peut-être… à une seconde révolution.
La bannière des étoiles
S’il ne fait plus de doute pour personne que les années 80 ont été la décennie de la maturation des comics américains, celle-ci est toujours créditée au profit de titres comme Camelot 3000, The Watchmen ou Dark Knight Returns. Mais loin de DC, chez l’indépendant First Comics il y eu en 1983 American Flagg ! et son influence sur la petite révolution du genre et sur des générations d’auteurs à venir est toute aussi importante.
Mais effectivement First Comics n’avait pas forcément les épaules pour promouvoir comme il le fallait la publication de la série American Flagg ! (en tous cas pas dans les largeurs globales de DC Comics) et Howard Chaykin reste un artiste relativement discret. Œuvrant aussi bien du coté de chez Marvel que son concurrent direct, se pliant à des licences comme Batman, Blade ou Star Wars (il est responsable de la première série comics chez Marvel), il n’a que trop rarement réussi à imposer de véritables créations personnelles. On connaît son polar noir et porno Black Kiss et le présent American Flagg ! D’ailleurs lorsqu’il s’attaque à ce dernier, il vient de prendre une retraite de trois ans loin de cette industrie (dans l’illustration de couvertures pulps), lassé de batailler avec ses cols blancs et sa bienséance industrielle. La série résonne alors d’emblée comme catharsis créative, démontrant à la fois une maturation spectaculaire de son style visuel (plus précis et fouillé qu’alors) et une explosion de recherches narratives inédites. Bien avant Frank Miller, Chaykin transforme les gaufrier en écran de télévision, emprunte à Will Eisner son incrustation du lettrage (titres et bruitages) et donne corps à une dystopie baroque qui scrute méchamment le déclin de l’empire américain. Comme le futur créateur de Sin City d’ailleurs, Chaykin se défini comme un véritable patriote (sans doute moins droitier), fier du modèle américain et de ses opportunités dont il déplore déjà en 83 la lente disparition. L’Amérique économique de Ronald Reagan est très loin de ses aspirations et le monde futur d’American Flagg !, dirigé par une entreprise d’état géante, montant les différentes minorités les unes contre les autres (pour l’audimat), appauvrissant la terre au profit des nantis réfugiés sur Mars et abreuvant la plèbe d’informations anxiogènes, de programmes violents, sexuels et de télé-réalités sordides, s’avère tristement visionnaire. Sans compter sur des services russes qui tentent de manipuler le résultat des élection américaines (hein quoi?!?).
“Someone’s got to stop the decline… Or try.”
Un versant US d’une certaine façon des délires SF et punk des trublions anglais de 2000AD et du Judge Dredd, mais où surnage derrière l’action, les canardages de gangs de mutants, les nombreuses parties de cabrioles avec des demoiselles toujours en lingeries fines (l’artiste adore et magnifie les porte-jarretelles), et les destructions massives, une volonté constante de transmettre un message certes désespéré, certes très souvent ironique, mais profondément sincère sur la mythologie américaine. Ex-star de la tv rétrogradée en Plexus Ranger sur une Terre dévasté, Reuben Flagg est ainsi un fabuleux anti-héros, vigilante tout en charme et en orgueil, homme d’action qui ne tue jamais gratuitement, manipulateur définitivement emprunt de justice, il détonne par sa franchise, son culot et ses règles morales dans un milieu totalement gangrené par la corruption, l’hypocrisie et la complaisance… Une BD qui prend les institutions à rebrousse-poil, démontre le versant cauchemardesques de la société US des années 80, mais qui pardessus tout reste un feuilleton admirablement écrit et construit. Amercian Flagg ! est ainsi composé de quatre story-arcs de trois chapitres chacun, mais où toutes les grandes lignes, les trames secondaires et les nombreux personnages périphériques, ne cessent de se répondre pour s’imbriquer avec la richesse d’un grand roman noir (genre préféré de Chaykin) et la déstructuration renversante d’un Chuck Palahniuk. Un peu dommage que les deux derniers chapitres (N°13 et 14) servant de conclusion globale et d’épilogue n’aient pu être illustré par Chaykin pour des questions de planning, même s’ils permettent de vérifier à quel point la symbiose entre la roublardise du script et l’exigence des dessins sont l’une plus grandes réussites d’American Flagg !
Dire que cette intégrale française est indispensable aux amoureux de la BD moderne est un euphémisme.