ALAN MOORE PRESENTE DC COMICS
Action Comics #583, Batman Annual #11, DC Comics Presents #85, Detective Comics #549-550, Green Lantern #188, The Omega Men #26-27, Secret Origins #10, Superman #423, Tales Of The Green Lantern Corps Annual #2 & 3, Superman Annual #11, Vigilante #17-18) – Etats-Unis – 1985 / 1987
Genre : Super-héros, Science-Fiction
Dessinateur : Dave Gibbons, Rick Veitch, Curt Swan, Kevin O’Neill, Bill Willingham, Paris Cullins, Joe Orlando, Klaus Janson, Jim Baikie, George Freeman
Scénariste : Alan Moore
Nombre de pages : 336 pages
Éditeur : Urban Comics
Date de sortie : 24 novembre 2023
LE PITCH
Ce recueil regroupe l’ensemble des épisodes qu’Alan MOORE a scénarisés pour l’éditeur américain, et que des artistes incontournables de l’industrie ont illustrés, tels Dave GIBBONS (WATCHMEN), Kevin O’NEILL (La Ligue des Gentlemen Extraordinaires), Rick VEITCH (SWAMP THING) ou encore Klaus JANSON (Daredevil).
More of Moore
Après avoir été partiellement édité par Panini (en version recolorisée dégueue) puis Urban (uniquement la partie consacrée à Kal-El avec Les Derniers jours de Superman), le volume DC Universe The Stories of Alan Moore est enfin traduit dans son intégralité en France. Tous les épisodes consacrés par le maitre aux grandes, et plus petites, figures de l’éditeur… Avec une sacrée surprise finale.
En ce milieu des années 80, Alan Moore est devenu LA star de DC Comics, auteur reconnu par tous, et même par ceux qui ne lisaient plus de comics, grâce à sa réinvention magistrale de Swamp Thing et à la révolution portée par le mythique The Watchmen. L’éditeur lui déroule le tapis rouge, accepte plus ou moins toutes ses propositions et surtout l’incite constamment à venir jouer les inviter de marque sur leurs publications mensuelles. Véritablement amoureux de la forme comics et du panthéon DC, Alan Moore ne se fait pas prier… En particulier lorsqu’il s’agit de donner un nouvel éclairage au destin de l’émigré de Krypton.
Colosse aux pieds d’argile
En juin 1985 dans Superman Annual #11, le scénariste invité, accompagné de son compère Dave Gibbons, projette Kal El dans une Krypton fantasmée crée par un terrible parasite envoyé par Mongul. Un doux rêve ? Pas vraiment, 20 ans après que la planète ait failli disparaitre, la société est tiraillée par une modernité galopante et un Jor El devenu fou, futur dirigeant fasciste à la solde d’une secte violente. Alan Moore bouscule le mythe, égratigne la vision paradisiaque de sa planète d’origine et fait chanceler la raison du héros comme personne. L’auteur n’est pas là pour cajoler la figure de proue de DC, mais bien pour la mettre face à ses faiblesses, a sa finalité, ce qui va être le cas plus clairement dans le suivant DC Comics Presents #85, où mis en contact avec une plante venue de sa planète, Clark Kent agonise, perdu entre la perte progressive de ses capacités et de sa stabilité psychique. Vision cauchemardesque d’une planète de moins en moins accueillante, crises de fureur qui pulvérisent la nature alentour, Sup’ ne sera finalement sauvé que par l’intervention de la créature du marais, personnage dont il vient de réinventer l’univers avec l’illustrateur Rick Veitch, forcément idéal pour une telle opération.
Deux fascicules qui involontairement mènent directement au point d’orgue de l’album : Les Derniers jours de Superman. Un concept éditorial imaginé par Julius Schwartz dans les cendres du crossover Crisis on Infinite Earths afin de dire au-revoir dignement à toute la première grande époque des titres Superman avant le reboot de John Byrne. C’est le Superman de Jerry Siegel et Joe Shuster, celui qui aura été accompagné par Krypo le chien, combattu des vilains stupides et bourrés de couleurs flashy, qui aura grandi en tant que Superboy et hésité constamment entre Lana Lang et Lois Lane. En arrière-plan, toutes les veilles trames doivent s’achever ici, mais pour Alan Moore, qui tout de même se plie généreusement à ce panthéon kitch, on sent que l’idée est surtout d’amener directement, et violemment, cet univers nostalgique dans une ambiance plus contemporaine, crue, noire et bien moins idéalisée. En 1986, le scénariste est en pleine publication de ses Watchmen, et si le dessinateur ici est l’honorable vétéran Curt Swan (30 ans de Superman et dérivés à son actif), le spectacle n’a en définitive plus grand-chose d’enfantin. Assuré de sa mort prochaine (la planche où il pleure sur son sort, marquante) alors que ses vieux ennemis reviennent prêts à tuer tous ses proches, ce Superman ne semble plus à sa place dans un tel monde. Peut-il rester de marbre ? Doit-il accepter le destin ? Va-t-il vraiment disparaitre ? Moore orchestre le tout avec une écriture toujours brillante, scrute ses réactions avec une certaine cruauté… pour le faire rejaillir plus fort que jamais dans une ultime pirouette, prévisible oui, mais diamétralement chaleureuse, touchante. Un classique du genre à placer fièrement aux cotés des plus grandes réussites de son auteur et un adieu vibrant au plus grand d’entre tous.
Poussière d’étoiles
Mais le volume de 300 pages ne s’arrête bien entendu pas à cela et va ensuite recenser une à une les diverses apparitions de sa signature dans des publications à priori moins glorieuses. On le croise ainsi du coté de des titres Green Lantern pour trois très courtes histoires imaginant un représentant du corp, Mogo, de la taille d’une planète, un autre venu d’un monde sans le sens de la vue (rendant tout le concept de Green Lantern caduc) et une rencontre hallucinée d’Abin Sur avec des dieux vils et sadiques qui lui annoncent, non sans malice, sa future mort. Des récits qui tout comme les petits délires extraterrestres échappés des pages bonus de la revue The Omega Men rappellent les racines britishs de l’auteur et ses débuts chez 2000 AD et Marvel UK. Mais c’est plutôt du coté de la section « Justicier Urbains » que l’on retrouve les autres pépites du présent album comme Noces d’Argiles d’un Annual Batman (lu récemment dans le Batman Chronicles 1987) où Gueule d’argile, ici totalement schizo, se prend d’amour pour un mannequin de supermarché, ou la rencontre entre Green Arrow et un sérieux concurrent illustré par le talentueux Klaus Janson. Ridiculisé (mais avec talent) dans la récente série Peacemaker, le justicier répressif Vigilante s’offre deux épisodes d’une course poursuite percutante avec un père tortionnaire et pédophile qui a kidnappé sa fille. Un thriller musclé, impeccablement dessiné par Jim Baikie (First American, Skizz…) où naturellement se pose la question de la légitimité de ce type de justice et de la place d’un super-héros sans pouvoir. Solide.
Mais ce qui va sans doute rendre la lecture de ce pavé indispensable pour les fans d’Alan Moore (qui connaissent déjà toutes ces histoires par cœurs), c’est l’opportunité de lire pour la première fois en français le long texte de présentation que le scénariste envoya en 1987 au rédacteur en chef de DC Comics, Dick Giordano, pour un crossover dantesque faisant justement échos à Crisis on Infinite Earths : Twilight of the Superheroes. Un récit alors complètement fou (mais dont on trouvera finalement quelques échos dans Kingdom Come) racontant la dernière heure de l’intégralité des personnages DC, tout en s’inscrivant dans la continuité officielle par tout un jeu de voyages temporels, de paradoxes et de manigances d’un John Constantine toujours sur la brèche. On peut y lire donc les grandes lignes du scénario, les techniques annoncées par l’auteur pour orchestrer le grand projet, mais aussi de nombreuses considérations sur la nature même des comics de super-héros, sur la pratique des crossovers, du marchandising (si, si) et sur les particularités éditoriales de DC. Absolument passionnant tout simplement.