Il est incontestable qu'en plus de 30 ans d'existence, Alien et ses séquelles auront traumatisé des générations entières de spectateurs. Profondément ancrée dans la culture moderne, sa renommée est en partie imputable aux mythiques créatures imaginées par l'esprit bouillonnant du très techno-organique ou Bio-mécanique HR Giger. Mais avant tout, cette saga est celle d'une femme, le lieutenant Ellen Ripley interprété par Sigourney Weaver, héroïne emblématique affrontant inexorablement les époques et les épreuves au travers de 4 films aux identités propres, insufflées par leurs réalisateurs. Ne sombrant (presque) jamais dans la facilité en singeant les opus précédents, chaque intervenant aura le mérite d'avoir apporté de nombreux éléments fondateurs à cet édifice polymorphique qu'est la saga Alien.
En 1979 Ridley Scott, non content d'initier sans le savoir une des franchises les plus populaires du cinéma de genre, façonne avec Alien un chef-œuvre absolu en mêlant film de monstre et science-fiction moderne. Scott use de son talent déjà remarquable pour proposer un film perfectionniste bourré de détails, aux effets spéciaux soignés, ouvrant sur un univers extrêmement riche et passionnant. Maniant parfaitement l'art subtil de la suggestion et grâce à une palette de protagonistes particulièrement bien écrits et interprétés, il parvient à instiller une tension insoutenable culminant en un final paroxystique sur le fil du rasoir. Toutes les fondations de la mythologie sont posées, prêtes à porter l'opus suivant vers des sommets sans commune mesure.
Il faudra attendre 7 longues années et la sortie d'Aliens avant de retrouver le lieutenant Ripley, passant ici du statut de survivante à celui d'icône féminine toute puissante entre les mains d'un jeune réalisateur de l'époque : James Cameron. Tout en utilisant sa thématique fétiche de la femme forte, Jim prouve au monde son inégalable talent de metteur en scène en livrant l'œuvre de SF guerrière ultime : oubliés, le monstre unique et la peur suggérée du premier film, nous assistons ici, dans un état quasi-extatique, à une avalanche de scènes d'anthologie, alternant action survoltée enveloppée par le score magistral de James Horner, et les moments d'émotion brute, dévoilant les traits de la fragilité de Ripley. Avec une véritable leçon de narration et de grand spectacle orchestrée avec un budget pourtant limité, James Cameron entre définitivement dans la légende en signant une séquelle originale, ayant su transcender son matériau de base sans jamais le trahir.
Les studios de la Fox auront une nouvelle fois l'intelligence de ne pas céder aux sirènes du profit et laisseront s'écouler quelques années avant de mettre en chantier une nouvelle suite. Avec Alien 3 en 1992, David Fincher tourne son premier long-métrage dans des conditions de production houleuses. Cet épisode d'une noirceur abyssale n'en établit pas moins les bases du cinéma de Fincher, l'un des artistes majeurs de notre époque. L'austérité et le pessimisme sans limite sont les ingrédients de ce troisième opus, poussant la vaillante Ripley au bord du gouffre, tout ce qui lui restait venant de voler en éclat. Scrutant ses maigres espoirs et sa fragile (re)construction maternelle dans un univers carcéral exclusivement masculin, cet opus éprouvant entraîne le personnage au cœur d'une spirale de mysticisme, un monde à la violence bestiale qui la brisera au profit d'un Alien inéluctablement invincible. La gestation compliquée du film (un vrai cauchemar relaté en détail sur le Blu-ray dans un making of non censuré) laisse à méditer sur les ambitions premières de Fincher, surtout après la vision de la brillante version alternative sortie en 2003, issue d'un rough cut restauré plus long de 45 minutes. Cette seconde séquelle reste en tous les cas l'une des plus réfléchies et intrigante de la saga.
David Fincher ne laissant apparemment aucune place à une suite, il faudra attendre la démocratisation de la génétique pour trouver une issue improbable vers un ultime volet, qui l'est tout autant. Sorti de la Cité des enfants perdus et délaissé par un Marc Caro allergique au système hollywoodien, notre compatriote Jean-Pierre Jeunet reprend les rênes du projet Alien Resurrection, qui s'annonce forcement compliqué et ne dérogera pas à la règle en proposant une nouvelle vision du mythe. Une vision probablement trop personnelle justement, à la teinte ocre et à l'humour plutôt indigeste. Jean-Pierre Jeunet, en dépit de quelques idées intéressantes, prend à contre-pied les attentes des spectateurs en livrant un film cynique, presque une parodie des 3 essais précédents. Construit sur un scénario simpliste et sans enjeux (signé Joss Whedon, pourtant), l'ensemble fait malheureusement preuve d'un certain manque de finesse, arborant une galerie de personnages injustement sous-exploités voire ridiculisés, Ellen Ripley en tête. On reste pantois devant un tel spectacle, au final grotesque, antithèse malencontreuse du climax homérique de James Cameron. Dommage.
Peu de sagas sont aujourd'hui capables d'affronter le temps avec une telle robustesse, envoûtant chaque année de nouveaux spectateurs grâce à des scripts intemporels et universels. Nous pouvons donc nous estimer heureux de pouvoir enfin bénéficier d'une édition haute-définition rendant pleinement justice à cette superbe trilogie (comprenez la nuance). Il nous reste à espérer que la pré-production des deux préquels d'Alien, chapeautés par Ridley Scott en personne, ne sera pas émaillée de scandales et de contretemps douteux, afin de nous faire définitivement oublier les deux erreurs innommables que furent AVP.