Errant dans les entrailles méconnues d'une Los Angeles insomniaque, à laquelle il a déjà consacré par le passé quelques un des plus beaux polars de l'histoire hollywoodienne (Le Solitaire, Heat), Michael Mann faisait glisser, avec Collatéral, son cinéma dans une toute nouvelle ère stylistique.
« Un jour, à la sortie d'un aéroport, je suis monté dans un taxi et ai commencé à discuter avec le chauffeur. A la fin de la course, alors que nous bavardions comme deux vieux amis, il m'est soudain apparu que cet homme ne savait, en fait, rien de moi. Il me tournait le dos, je l'avais en mon pouvoir et j'aurais très bien pu être un dangereux psychopathe. J'ai alors pensé qu'il serait intéressant de confronter ainsi deux personnages isolés dans un espace confiné. Tel a été le point de départ de cette histoire. » Il aura donc fallu trente ans après le titanesque Taxi Driver pour qu'un scénariste, Stuart Beattie, décide de se pencher à nouveau sur cette profession fantomatique. Errant dans les entrailles méconnues d'une Cité des Anges insomniaque, à laquelle il a déjà consacré par le passé quelques un des plus beaux polars de l'histoire hollywoodienne (Le Solitaire, Heat), Michael Mann tire dudit manuscrit une fable criminelle quasi-hallucinatoire, faisant accessoirement glisser son cinéma vers une toute nouvelle ère stylistique. Les premières fondations de Miami Vice et Public Enemies sont ainsi clairement visibles tout au long de Collatéral...
« Pour moi, il était avant tout question de transmettre des émotions par le biais des décors urbains et des ambiances qu'ils dégagent. Je trouve aux nuits de L.A. une intensité émotionnelle particulière. J'ai voulu évoquer la sauvagerie primitive sous-jacente à cette ville, que j'ai ressentie une nuit lors d'une brève mais inoubliable rencontre avec trois coyotes échappés du désert. A un feu rouge, je les ai vu traverser posément la rue, sans se presser, comme s'ils étaient maîtres de la ville. Comme si la civilisation n'était que temporaire et superficielle... » Tout ce qu'évoque ici Michael Mann se reflète intact dans le moindre plan de Collatéral, dont le scénario, efficace mais sans génie, apparaît surtout comme un tremplin thématique aux ambitions du réalisateur. Les hommes peuvent bien s'entretuer, la planète finira de toute manière un beau jour en poussière d'étoile. L'idée que Max (Jamie Foxx) remette en question sa perception du monde et sa compassion véritable envers l'humain lors de sa rencontre avec Vincent (Tom Cruise, sosie du William Petersen de Manhunter), acceptant peu à peu de ne plus exister que pour la seconde en cours, nourrit non seulement les interrogations de Mann mais symbolise l'essence même du no man's land que représente L.A.. Charnellement cadrée dans une obscurité chaude et humide, vide constitué de lumières imprécises, de silhouettes spectrales d'immeubles et de palmiers, la ville déploie, chez Michael Mann, des qualités oniriques inattendues, contribuant à l'introspection de ses protagonistes. On applaudira à ce titre l'opposition de la pellicule 35mm pour les scènes de jour (dix minutes d'ouverture) au numérique de la nuit, altérant la perception du spectateur de manière réaliste et conférant au long-métrage un aspect foncièrement expérimental.
Tels des loups errant dans les rues d'une mégalopole fantôme, dont les seuls habitants encore actifs dépouillent les passants dans des ruelles, se déhanchent en clubs privés ou s'abreuvent d'un Jack Daniel's devant un savoureux bœuf de Jazz, les héros de Mann s'enlisent progressivement dans une sombre rêverie et finissent par ne plus se définir qu'en actes, en choix. D'ores et déjà œuvre de référence sur Los Angeles au même titre qu'un Die Hard - With a Vengeance vis-à-vis de New York, Collatéral se déguste ainsi du bout des lèvres, marquant autant par ses morceaux de bravoure (une fusillade mémorable dans une boîte de nuit, une confrontation crépusculaire dans une rame de métro) que dans ses instants les plus intimes. Fort d'un sens de la musique et du montage toujours aussi aiguisé, Mann appose sa patte à la moindre séquence (on pense aux nombreuses ruptures visuelles et sonores au sein du taxi, soulignant les états d'âme changeants des protagonistes) et transcende logiquement son sujet. A la manière d'un Miles Davis improvisant sur sa trompette (c'est dans le dialogue), le réalisateur de Ali nous livre un sommet d'art sensoriel, une balade sauvage libre de ton et en dehors du temps. Sacré film.





