Cinquième production massive portée par le producteur Samuel Bronston dans son Hollywood espagnol et déjà le rêve s'effondre sous son budget colossal et une idée du blockbuster historique passée de mode. Pourtant cette chute inexorable affiche un sacré panache, une élégance crépusculaire, profitant d'un casting impérial et de la réalisation assurée du grand Anthony Mann.
Réalisateur de seconde équipe sur Quo Vadis qui en 1951 relança la mode des peplum à Hollywood, Anthony Mann signa involontairement avec La Chute de l'empire romain le glas du genre. Lourdement critiqué par la presse, boudé par le public sans doute un peu lassé des grandes fresques en toges, le film va rester, aux cotés du Cléopatre de Mankiewicz, un colossal échec commercial. La fin d'une époque, et les deux films affichent les mêmes ambitions totalement démesurées (le forum roman entièrement reconstruit aux alentours de Madrid reste le plus vaste décor de cinéma jamais construit), multipliant les grandes scènes spectaculaires à renforts de milliers de figurants, non pas un simple divertissement grandiose, mais pour donner corps à une tragédie shakespearienne, une exploration bouleversante et adultes des dilemmes moraux, profonds de ses personnages. Comme le montre brillamment le film, la chute de l'empire ne se fera pas de l'extérieur, par une conquête d'un envahisseur barbare, mais bien de l'intérieur. Incontournable réalisateur de films noirs percutants (Marché de brutes..) et de western torturés (Winchester 73, Les Affameurs... ), Anthony Mann rejoue l'affrontement fraternel et symbolique avec d'un coté Commode fils de empereur philosophe Marc-Aurèle et de l'autre l'héritier proclamé Livius, général des armés.
L'un est ambitieux, névrosé, cruel et tendrait vers le tyrannique, le second reste rivé à son codes d'honneur et à son esprit miliaire, mais est tiraillé par ses sentiments amoureux. Leur affrontement culmine d'ailleurs dans deux séquences qui se répondent : une course en char absolument délirante et époustouflante (voulu pour concurrencer celle de Ben-Hur) et un duel à la lance, bien plus minimaliste, encerclé par les boucliers dressés de la garde, tel une arène. La guerre civile, le chaos contre l'ordre, une idée qui répond tout au long du film aux visions dédoublées comme cette structure en deux parties, l'une dans les frontières éloignées encore empruntes de l'ordre naturel, et la seconde comme prisonnière des immenses structures de la civilisation romaine où le gigantisme le dispute à la cupidité des prétoriens et des légionnaires. La Pax romana s'effondre sous les yeux d'un Anthony Mann déplaçant graduellement ses perspectives, isolant subtilement les personnages dans des plans extrêmement, mais discrètement, construits, et se laissant épauler par les interprétations souvent admirable d'un casting cinq étoiles. James Mason, touchant en conseiller à l'optimisme farouche, Sophia Loren sublime dans ses accents mélodramatiques, Alex Guiness impérial (c'est le cas de le dire) en dernier garant de la grandeur de Rome, mais surtout le film est porté par un savoureux Christopher Plummer en dictateur mégalomane, parfaitement dérangé mais toujours impeccable damant aisément le pion à son adversaire Stephen Boyd (Le Voyage Fantastique), impeccable dans son armure de cuir mais n'affichant pas forcément le charisme requis pour capturer l'attention du spectateur. Si son ancien partenaire de Ben Hur, Charlton Heston avait accepté ce rôle écrit pour lui, sans doute en aurait-il autrement. Cela n'aurait par contre rien changé à l'autre déséquilibre du film : un scénario qui a tendance à se fragmenter dans sa seconde partie, à enchaîner les épisodes décousus empêchant une véritable montée de la tension dramatique.
Une fresque trop vaste pour se contenter de 180 minutes de film sans doute, où les enjeux politiques et stratégiques ont parfois du mal à se plier à hauteur d'homme, où l'étendue même de l'antique empire romain semble jouer contre lui. Mais quel superbe peplum tout de même !



