Cantonné aux séries B de Drive-In et aux Direct-to-video, Jeff Lieberman n'a certainement pas la filmographie chargée de Roger Corman, mais en affiche cependant la belle efficacité. En outre dès son premier La Nuit des vers géants, confirmé par le suivant Blue Sunshine, il affirme un regard particulièrement sarcastique sur cette Amérique post 60's.
Pas forcément cité parmi les grands noms du cinéma de genre, Jeff Lieberman a cependant réussi à se hisser au rang des réalisateurs cultes, ayant réussi à déposer au moins trois de ses créations au niveau des petits classiques du B Movie : La Nuit des verts géants, le slasher Survivance et au milieu ce Blue Sunshine. Sans doute l'œuvre la plus étrange de sa filmographie, ce dernier repose cependant sur la recette éprouvée de son auteur en s'inscrivant solidement, malgré une production étriquée, dans tous les codes attendus d'un film de genre, ici entre thriller et horreur, mais en les teintant d'un œil des plus personnels, politique et acide. On est loin de la charge faussement propagandiste de Starship Troopers, mais d'une certaine façon Blue Sunshine joue sur cette même ambivalence en faisant sien les messages antidrogues du gouvernement américain, les fantasmes des séquelles de prises de LSD, pour mieux en souligner la totale absurdité. Ex hippie des 60's, quelques personnages bien embourgeoisés se mettent ainsi à perdre leurs cheveux (« Hair », tout un symbole), à souffrir de migraines violentes avant de se transformer en meurtriers aux airs de morts-vivants. Leur point commun ? La prise dans leur jeunesse d'un acide expérimental appelé Blue Sunshine. Loin d'être un film anti-drogue (Jeff Lieberman ne cache pas ses diverses expériences personnelles sur le sujet), le film s'amuse surtout à refléter l'effondrement des valeurs de la décennie passée, illustrant le portrait d'une génération qui s'est finalement empressée de rentrer dans le rang, ainsi que d'une classe sociale qui se positionne toujours aussi fermement au-dessus des autres.
Habile, ambiguë dans son discours, Blue Sunshine ne choisit pas ses victimes par hasard (tout tourne autour d'un politicien en pleine campagne), ni ses décors d'ailleurs, ancrant son final dans une boite disco puis dans un glorieux centre commercial, deux temples de la vacuités. L'Amérique a changé de visage et le love power a laissé place à un tain maladif et une paranoïa totale généralisée. Pas forcément grand fan des effets chocs gratuits, et de toute façon très limité par ses finances, le réalisateur préfère distiller une atmosphère lourde, froide et surtout une grande singularité appuyée par les compositions anxiogènes de Charles Gross. Ne pouvant creuser plus avant les origines de la drogue et la raison de ses effets (les flash-backs prévus ne furent jamais tournés), pratiquant quelques raccourcis et ellipses ne simplifiant pas la compréhension, ou laissant la psychologie de quelques personnages sur le coté, Blue Sunshine s'empare de ce qui aurait peu être des défauts (seule l'atroce interprétation de Zalman King, premier rôle, est insauvable) pour en faire une particularité. Comme le démontre l'excellente ouverture, le moindre instant peut basculer dans la folie meurtrière, un sympathique crooner du samedi soir se transformer en schizophrène brûlant vive une pauvre femme... L'autre célèbre séquence, suivant une pauvre femme en robe de chambre zombifiée et poursuivant les gosses qu'elle garde armée d'un couteau, synthétise brillamment cette notion d'un quotidien perverti, d'une mort froide omniprésente, quelque-part entre le giallo et le détachement cronenbergien.



