Alors en plein cœur de sa carrière américaine, Barbet Schroeder se prête au jeu du thriller domestique avec JF partagerait appartement. Une commande, mais où affleure constamment les pointes de perversité de son auteur et sa fascination pour les figures troubles.
Réalisateur des documentaires Général Idi Amin Dada : Autoportrait, L'Avocat de la terreur ou Le Vénérable W., Barbet Schroeder cultive une même fascination pour les personnages de fiction jouant de multiples facettes, de masques pour cacher des personnalités troubles, dangereuses derrière les sourires, les postures ou l'élégance froide. C'était bien évidemment ce qui faisait tout le sel de son Le Mystère Von Bülow, affaire judiciaire toujours irrésolue dans laquelle Jeremy Irons campait un aristocrate aussi détestable que mielleux. Profitant de la reconnaissance public et critique du film, sans compter sur le prix d'interprétation aux Oscar, Schroeder devient « bankable » et reçoit désormais les derniers scripts commandités par les grands studios. Parmi ceux-ci, il va choisir celui de JF partagerait appartement, librement adapté d'un bouquin peu mémorable du même nom, qui joue sur la corde très en vogue alors du thriller domestiques. Une mode lancée par le célèbre Liaison Fatale, et reposant toujours sur cette idée d'une menace venant s'incruster dans la vie du personne principal.
Une maîtresse délaissée dans le film d'Adrian Lyne, une nounou sadique dans La Main sur le berceau, un fiston sadique dans Le Bon Fils et une colocataire en quête d'identité dans le film en question ici. Schroeder ne s'en cache pas (même dans les interviews) et se plie volontiers finalement au cadre attendu par la Columbia, mais le fait tout de même ployer sous sa personnalité, refusant le catalogue de stars, creusant plus que de coutume la psychologie des ses deux protagonistes, distillant des indices d'une sexualité presque crue, ambivalente et surtout ambiguë. Aidé par la photographie léchée de Luciano Tovoli (Profession: Reporter), s'accaparant une veille battisse typiquement new-yorkaise rappelant directement celle de Rosemary's Baby, il teinte aussi très clairement ce genre d'habitude assez froid d'une inquiétante étrangeté proche du cinéma de Roman Polanski. Pas de quoi forcément transformer l'objet, au demeurant très classique dans sa construction, en chef d'œuvre, mais plutôt d'ouvrir la voie à des contours légèrement plus sombres et complexes. Un angle largement porté il est vrai par le duo d'actrice, Bridget Fonda et surtout Jennifer Jason Leigh, qui malgré leurs différences d'intensité de jeu, leurs physiques semble-t-il à l'opposée l'une de l'autre, finissent par afficher des similitudes troublantes, crédibilisant constamment cette extrapolation spectaculaire d'un cas de mimétisme pathologique. Un peu dommage au demeurant que suites à de multiples screentests, le réalisateur finisse par accepter (en plus de quelques coupes) le tournage d'une nouvelle fin. Plus longue et satisfaisante pour le grand public, celle-ci délaisse un thriller tout en retenu, privilégiant les signes inquiétants aux explosions de violence, pour un affrontement grand guignol aux relents de slasher. Une commande reste une commande.



