Transposition au grand écran d'un roman d'Akio Fukamachi, The World of Kanako est un pur shoot d'adrénaline, une frénésie d'images et de sons basés sur une intrigue de thriller qui aurait lâché les chevaux sans tenir compte des règles de bienséance. Tetsuya Nakashima, réalisateur de Memories of Matsuko et Confessions, cosigne le scénario de cette œuvre... autre.
On ne s'avance pas trop en avançant que The World of Kanako ne plaira pas à tout le monde. La bête ne se laisse pas dompter facilement et pourra laisser pas mal de spectateurs sur le côté. La raison est simple : le parti-pris du réalisateur est de présenter l'enquête de cet ancien flic à la recherche de sa fille disparue, en mode trip sous acide, plongeant le spectateur dans un maelstrom de visions, de sentiments et de sensations. C'est une frénésie d'images saturées de couleurs, de musiques et sons agressifs, montées à la hache bien aiguisée qui sont balancées, apte à pénétrer sans anesthésie le cortex cérébral du spectateur. Un ride sensitif introduit dès l'entame du film avec un long prégénérique monté comme une bande-annonce très tarantinesque dans l'esprit, favorisant les ellipses et le rythme syncopé comme sacerdoce. Une mise en bouche de ce que sera une grande partie des deux heures de film. Aussi agressif, violent, parfois vulgaire qu'il soit, The World of Kanako tend paradoxalement à faire rentrer dans l'intimité d'une adolescente à première vue bien sous tous rapports, mais aux secrets un peu plus déviants qu'il n'y paraît. Laura Palmer's style... Des fêtes débridées et braillardes aux shoots de cocaïne, en passant par quelques scènes d'agression sexuelle explicites, The World of Kanako ne recule devant aucune outrance pour alimenter sa fuite en avant effrénée. Le personnage du flic, assez incroyablement incarné par l'excellent Kōji Yakusho (comédien fétiche de Kiyoshi Kurosawa, vu notamment dans Cure et Charisma), est en lui-même un concentré de déviances, une bombe à retardement menaçant perpétuellement d'exploser. Dans sa croisade pour retrouver une fille qu'il a pourtant abandonnée, il fracasse tout sur son passage, frappe les femmes comme des punching-balls, dessoude du malfrat sans distinction, obsédé par sa quête de vérité.
Cherchant à explorer des sentiments et sensations au forceps, en privilégiant l'hystérie de ton mais aussi formelle, Tetsuya Nakashima accouche d'une monstruosité filmique par le biais d'un dispositif qui évoque un esthétisme proche du cinéma de Tony Scott, avec quelques envolées vaporeuses à la Sofia Coppola (association audacieuse) qui n'évite pas la surenchère et le too much. Certaines séquences répétitives alourdissent le film par leur longueur démesurée, de même, la présence de plans en animation un peu gratuits ajoutent à un cahier des charges un peu trop foutraque et sans grande cohérence. Le film éructe, braille, hurle autant sur la bande-son que dans sa fougue visuelle. Il dérive par instants vers le comic-book, (le générique) dans des scènes volontairement ultra gores et trash (la confrontation sur le parking), et hésite en permanence entre cinéma "à la cool" et proposition transgressive où le viol, l'inceste, l'agression physique et le lynchage d'adolescents sont des activités quotidiennes. Un cul entre deux chaises qui finit par desservir le film, même s'il tend à s'apaiser dans un long épilogue évoquant une rédemption immaculée à la Fargo des frères Coen. Le portrait d'adolescente qui cache bien son jeu esquissé ici, aussi bien incarné qu'il soit par la jeune comédienne Nana Komatsu, reste malgré tout marqué par des contours un peu trop évidents et assez peu originaux dans le traitement.
Film gentiment méchant (ou méchamment gentil, c'est selon), The World of Kanako est aussi peu agréable à suivre que finalement assez inoffensif et puéril dans son discours. La marque d'une œuvre un peu trop consciente de son statut de vilain petit canard transgressif pour être complètement honnête. En comparaison des œuvres elles aussi méchamment mal élevées de Sono Sion et Takashi Miike, le film de Tetsuya Nakashima donne le sentiment de vouloir imiter ses modèles sans réellement parvenir à s'extirper de son statut de bande déridée et outrancière un peu gratuite et puérile...




