Quand le prince de l'action made in HK débarque à Hollywood sur invitation du réalisateur d'Evil Dead pour faire don de ses ralentis iconiques à la star belge de Kickboxer, ça donne Hard Target, émule cajun et burné des Chasses du Comte Zaroff. What the fuck ?!
Nous sommes au début des années 90 et le cinéma américain règne sur toute la planète. Ou presque. Une péninsule asiatique résiste encore et toujours au rouleau compresseur yankee. Avec des généraux du calibre de Tsui Hark, Ringo Lam, Ching Siu-Tung, Yuen Woo-Ping, Sammo Hung et Jackie Chan, Hong Kong ne manque de répondant. Les cinéphiles du monde entier sont conquis par l'inventivité et la liberté déployés par d'authentiques chefs d'œuvres frappadingues, usant jusqu'à la corde les bandes magnétiques de VHS plus ou moins pirates. Sorti à l'été 1989, The Killer est même devenu le porte étendard de toute une production locale, ses ballets meurtriers inspirés par Melville, Demy et la geste chevaleresque offrant à toute une (jeune) génération de cinéaste une alternative inédite et radicale aux films d'action de la décennie achevée. En moins de temps qu'il n'en faut pour vider les chargeurs d'une paire de Colts .45, John Woo est devenu le nouveau messie des mexican stand offs et du gunfight en lévitation.
Seule ombre au tableau, la rétrocession d'Hong-Kong, sous protectorat britannique depuis 1898, à la Chine Populaire menace de clore cette parenthèse enchantée. Le 1er juillet 1997 devient une date redoutée par la majorité de la population de la péninsule, artistes compris. Y voyant une opportunité d'engloutir de nouveaux talents à la mode (et de prendre sa revanche), Hollywood offre des ponts d'or aux talents du cinéma HK. John Woo répond à l'appel de la Terre Promise, non sans avoir emballer deux chefs d'œuvres de plus, Une balle dans la tête et A toute épreuve.
Au lieu de se voir dérouler le tapis rouge, John Woo se retrouve à servir la soupe à Jean-Claude Van Damme, action star rescapée du naufrage de la maison Cannon. L'équivalent d'un bizutage. C'est une façon de voir les choses. Le recul, béni soit-il, nous a appris à les voir différemment.
Tout en se frottant au système hollywoodien et à ses contraintes nouvelles (adieu liberté totale, bonjour les compromis), Woo ne prends en réalité que très peu de risques. Un budget moyen, une star bankable et l'opportunité de pouvoir placer quelques plans signatures pour ne pas décevoir toutes les attentes. Plutôt que d'affronter une tempête, le cinéaste cherche essentiellement à prendre ses marques, à s'acclimater. Il s'y attelle en effectuant une drôle de danse autour de l'animal Van Damme. Le karatéka de Bruxelles n'a certes pas la grâce d'un Tony Leung ou la classe d'un Chow Yun Fat mais la caméra de Woo, toujours en mouvement, toujours à la recherche du point de montage qui tue, se réinvente petit à petit et fait des miracles. En résulte un hybride entre le chevalier et le desperado à la Sergio Leone. Le manteau long est toujours là mais il est poussiéreux, mité, et finit par disparaître pour laisser apparaître les muscles de l'acteur et le marcel trempé de sueur. Dans la peau des méchants de service, Lance Henriksen et Arnold Vosloo assurent en revanche la continuité avec les Kwan Shan, Shing Fui-On et Anthony Wong d'antan, dans un registre purement luciférien.
L'action ne démérite pas et Hard Target monte crescendo jusqu'à un final explosif et totalement jouissif. Mais c'est avant tout le regard de John Woo, l'étranger, sur une Amérique qui cache ses pauvres et finit par les traiter comme du gibier de potence qui finit par interpeller. Tout juste débarqué de l'avion, le réalisateur du Syndicat du Crime braque déjà ses caméras sur les oubliés du Rêve Américain avec une sincérité rappelant Ford et Capra. Bull's eye !



