Difficile, voir impossible, à revoir depuis des lustres, La Traque était presque devenu un fantasme de cinéphiles bisseux avec les années, devant se satisfaire de copies dégueux piquées sur de vieilles VHS oubliées. L'aura d'un film français au casting 4 étoiles, mais profondément bis et qui en a traumatisé plus d'un. A la redécouverte, on ne peut qu'abonder : La Traque reste un film fort, et glaçant.
Cinéaste très inégale mais quoi qu'il en soit constamment traversé par une vrai envie de faire un cinéma de genre engagé, investi, capturant la réalité pas toujours des plus glorieuses de nos chers contemporains, Serge Leroy aura connu ses petites gloires avec Le Mataf, Légitime violence ou Le 4ème Pouvoir (non on ne parlera pas de son purgatoire sur la série Pause Café) mais toujours malheureusement avec une réalisation un poil juste, manquant d'inspiration et d'impact. Bizarrement cette fonctionnalité de la grammaire de sa mise en scène, pour ne pas dire télévisée, sert à merveille ce qui est sans aucun doute son opus le plus marquant : La Traque. Une chronique ordinaire, voir débonnaire, d'une belle journée de chasse dans la campagne d'Alençon en compagnie de quelques petites notables locaux : le châtelain, le prochain député, l'avocat de la bande, les deux frangins rigolards au commerce florissant... Une coutume ancestrale comme disent les associations de chasseurs, qui débute par un bon petit verre, du jambon et quelques blagues bien grasses entre deux petits arrangements politiques. Sauf que la partie de campagne glisse rapidement vers le sordide lorsqu'elle croise la charmante citadine américaine, Mimsy Farmer tout en fragilité résignée, déchirante, victime d'un viol sauvage sous le regard complaisant de témoins avides.
Si celle-ci fini par abattre son bourreau ce n'est que par pur hasard. Si les autres décident de la poursuivre à travers bois et marais pour cacher leur crime, ce n'est que par pur lâcheté, et sans doute aussi pour répondre à des instincts moins avouables. Un pitch digne d'un rape & revenge ou d'un survival américain de seconde zone, mais dont l'une des première force est d'être incarnée à l'écran par un de très grands acteurs français, ici franchement fabuleux dans leur médiocrité : Jean-Luc Bideau (falot à souhait), Michael Lonsdale (insuportablement mielleux), Michel Constantin, Jean-Pierre Marielle (monstreux), Philippe Léotard (pathétique)... Les visages troubles, ambiguës, inquiétants et on ne peut plus hexagonaux de la connerie ordinaire (on pense souvent Dupont Lajoie d'Yves Boisset), mélange d'opportunisme, de misogynie, et de comportement minables on ne peut plus local. Et Serge Leroy va jusqu'au bout de sa démarche, sans humour ni complaisance, suivant cette poursuite inlassable d'un « gibier » innocent à travers des paysages automnales, froid, humides et sans espoir, comme dans un bon vieux reportage bucolique des diffusions tardives d'Histoires naturelles sur TF1. Un film particulièrement violent dans son étude de charactère trop humains, dans son intransigeance froide, qui laisse un goût douloureusement amer par son acte final aussi terrifiant que parfaitement amoral. Un grand film français, méchant et malheureusement clairvoyant.


