Pour le 32ème numéro de sa collection Make My Day !, Jean-Baptiste Thoret nous propose encore un film oublié et signé par un réalisateur lui aussi honteusement laissé de côté par quelques décennies de cinéma. Une prodigieuse erreur qu'il est enfin temps de corriger car non seulement Le Procès de Julie Richards est un bon film, mais c'est en plus un plaidoyer en forme de coup de poing au coeur dont il est presque impossible de sortir indemne.
Si certains d'entre nous ont par chance conservé le nom de Larry Peerce dans un coin de leur tête, c'est probablement aux détours de souvenirs d'enfance passés devant le petit écran. Car de Batman au Frelon Vert en passant par les cultissimes Mystères de l'Ouest, c'est pour la télévision que son nom apparaît surtout. Pourtant, bien avant les onomatopées criardes de l'homme chauve-souris ou les pantalons moulants de James West, Peerce réalise, dès 1964, Le Procès de Julie Richards. Un premier film très engagé, qui met en scène l'histoire d'un couple composé d'une femme blanche et d'une homme noir. Et qui sort en pleine actualité brûlante, entre le meurtre de trois militants pour les droits civiques des minorités par des sympathisants du KKK et l'adoption d'une loi abrogeant la ségrégation raciale dans plusieurs Etats du sud. Un pari risqué (notons au passage que le Code Hays était encore en vigueur!) pour un jeune cinéaste qui à l'époque ne travaille encore que pour la télévision mais qui va mener sa barque à bon port, jusqu'au bout, en profitant par exemple de rues désertes pour filmer l'amour interdit de ses deux personnages principaux. Et comme si cela ne suffisait pas, le scénario va rajouter entre eux une enfant.
Car lorsque Julie (Barbara Barrie, d'une incroyable justesse) rencontre Frank (Bernie Hamilton, le futur chef teigneux de Starsky & Hutch), celle-ci est déjà mère de la petite Hellen Mary. De quoi rajouter un peu plus de complexité à un amour déjà bien contrarié. D'autant que le père de cette dernière, un goujat qui n'hésita pas à quitter sa jeune épouse enceinte, profite de ce moment pour faire son grand retour dans sa vie. Evidemment, il va voir d'un très mauvais œil la nouvelle fréquentation de son ex femme et tout faire pour extraire sa fille d'une vie de famille qu'il juge non conforme à sa vision des choses.
Le Procès de Julie Richards va donc bien plus loin que sa problématique raciale. En faisant une description très détaillée de la vie de son héroïne (difficultés financières qui la forcent à vivre chez sa belle famille - qui commence par la rejeter !, regard d'une société jugeante, choix cornélien imposé...) le scénario vise clairement la condition féminine de cette époque. Derrière sa caméra, Larry Peerce pourrait forcer le trait mais se contente de filmer ses comédiens au plus près et avec la plus grande simplicité. A quelques plans près, très travaillés, comme celui où l'aigle américain prend l'allure d'une menace fondant littéralement sur les deux amoureux. De son côté, Gerald Fried opte pour un score tout en légèreté, qui prend même des allures de balade enfantine (le titre original One Potato, Two Potato fait allusion à une chanson pour enfant) loin des notes lourdes et dramatiques qu'on serait en droit d'attendre. Un choix aussi déstabilisant que génial au vu du drame qui se joue et se terminera sur la pire des conclusions pour son héroïne.
Si la carrière de Larry Peerce ne s'arrêtera pas là, Le Procès de Julie Richards reste sans doute son coup d'éclat le plus brillant. Un film miraculeux produit entre des épisodes de séries mainstream sur des chaînes de grande écoute et imaginé par deux scénaristes oeuvrant sur des séries de science-fiction inoffensives et Flipper le Dauphin. L'envers du décor en carton pâte d'une société malade de ne pouvoir aimer et vivre comme elle le souhaite. Plus de 50 ans après, les choses ont-elles vraiment changées ?




